Ce sont les vacances et par conséquent je suis un peu à court d’histoires.
Mais hier, l’existence de mes élèves m’est revenue à l’esprit. J’avais trois paquets de copies à corriger, comme on dit, comprenez un paquet par classe, soit un peu moins d’une centaine. Je ne me plains pas, les dictées ce n’est pas ce qu’il y a de plus long à noter et puis Danse avec les Stars durait jusqu’à minuit, alors…
La dictée est l’exercice que beaucoup d’élèves détestent le plus et celui qu’ils appréhendent avec panique.
« Cahier de texte s’il vous plait, pour la semaine prochaine: ‘apprendre la leçon d’orthographe et revoir les exercices’. »
Mes trente têtes « blondes » s’empressent de noter le travail, non par enthousiasme pour la leçon en cours mais parce que noter le travail signifie que la sonnerie va bientôt retentir.
« Leçon d’orthographe qui sera évaluée…
…par une dictée. »
Drrrrriiiiinnnng
Si je n’avais pas prononcé les trois derniers mots, ils se seraient rués vers la porte sans se retourner. Or là, ils sont restés tout de même une minute de plus. « Oh non ! Madame ! Ne nous faites pas ça ! Tout mais pas la dictée ! »
Je ne peux m’empêcher de sourire. Plaisir sadique du professeur.
C’est rien une dictée, ça ne compte pas plus que la conjugaison et beaucoup moins que l’expression-écrite. Pas de quoi se mettre dans cet état, non ?
En fait, si.
La dictée c’est difficile parce qu’on ne peut que perdre des points et ne jamais en gagner, parce que les 0 sont monnaie courante et souvent accompagnés d’une note en négatif. Une dictée ratée c’est humiliant.
Aujourd’hui, plus aucun professeur ne note comme on nous notait (-2 points par faute de grammaire, -4 pour la génération de nos parents), les enfants sont diagnostiqués dyslexiques ou dysorthographiques et ont des aménagements.
Mais rien n’y fait, la dictée est quasiment un traumatisme.
Il faut dire qu’en plus de se coltiner des mauvaises notes, ils entendent sans cesse répéter que leur orthographe est au bord de l’illettrisme, qu’avant jamais on n’aurait écrit aussi mal, que c’est à force d’envoyer des SMS et de parler sur l’internet des heures durant qu’ils sont nuls, j’en passe et des meilleures.
C’est vrai, l’orthographe de la majorité de mes élèves est épouvantable.
C’est vrai, quand je corrige leur copie je grommelle comme une vieille prof réac.
Mais quelle est notre responsabilité, à nous, adultes, dans leurs difficultés ? On accuse sans arrêt l’école élémentaire et ses professeurs parce que c’est chez eux que tout aurait commencé.
N’oublions pas que ce n’est pas à l’école que se forme le langage. C’est bien avant, à la maison.
Le langage des enfants est calqué sur tout ce qu’ils entendent: leur famille en premier lieu, leurs amis et l’école évidemment. Seulement, une seule de ses entités garantit de leur parler dans un langage correct et normé. C’est loin d’être suffisant.
A quel moment, nous autres, adultes, avons-nous décidé que la langue française ne nous concernait pas immédiatement? Combien de fois laissons-nous nos enfants seuls face à leurs lectures ? A quand remonte la dernière histoire qu’on leur a lu ?
Une multitude de media fait désormais partie de leur vie qui ne parlent pas correctement, qui n’écrivent pas correctement mais qui s’ancrent profondément dans leur tête. Qui peut compenser ces lacunes alors ?
A notre échelle de professeur, nous faisons ce que nous pouvons, je vous l’assure. La notation est aménagée pour valoriser l’apprentissage de la leçon (par exemple je distribue des points bonus s’il n’y a aucune faute qui concerne l’accord sujet-verbe et que c’était l’objet de la leçon), ils entendent quatre heures par semaine parler de littérature dans un langage normé, du plaisir des mots et de la lecture.
Mais je ne peux le faire que quatre heures par semaine, alors qui pourrait bien les aider le reste du temps ?
Ci joint une photo d’une de mes copies, et pas la seule dans ce cas d’ailleurs; faut pas désespérer de l’humanité