Sans mot dire

Il y a moins d’un an je me suis retrouvée face à mes élèves pour essayer de leur expliquer ce qu’était la tolérance, ce qu’était un amalgame. J’ai utilisé les mots de Voltaire, celui que l’on ressort à chaque fois parce qu’il avait tout compris. J’ai essayé de leur montrer que certains allaient essayer de les manipuler et qu’il faudrait résister aux chants terribles des sirènes.

Je ne pensais pas que je devrais recommencer si tôt.

J’ouvre ma page Facebook et je vois comme un élan humaniste et solidaire, n’y a-t-il que les tragédies pour nous unir? Et c’est vrai, devant ces messages d’amour, ces #porteouverte, les larmes montent. Le meilleur sort parfois du pire.

Et parmi ces lueurs d’espoir, toujours la haine tente de s’immiscer. « Nous fermons enfin nos frontières », « le mal arrive ? non il est déjà parmi nous ? » et avec les larmes c’est la nausée qui suit.

Je pense à mes élèves dont les parents votent bleu foncé et qui vont être abreuvés de messages de haines tout le weekend, je pense à mes élèves de la ZUP qui seront une fois de plus pointé du doigt parce que leur Dieu porte le même nom que celui de ces terroristes.

Comment pourrais-je les protéger ?

Je pourrais seulement leur dire que la haine peut appeler la haine mais pas seulement, que le meilleur moyen de lutter contre l’obscurantisme c’est de rire, que leur innocence doit être protégée et que personne n’a le droit de leur dire quoi penser. Je leur raconterai encore l’histoire de ma famille qui a été obligée de quitter son pays, de ces millier de migrants qui auraient préféré ne jamais venir, que tous les hommes sont égaux.

Et puis je leur lirai encore « la prière à Dieu » et j’essaierai de ne pas pleurer.

« Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant. »

Voltaire – « Prière à Dieu », in Traité sur la tolérance

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