Il y a longtemps que je n’avais pas parlé de lui, le petit du frère du milieu, coincé entre son brillant aîné et son adorable cadet. Celui qui n’a pas eu de chance.
C’est toujours très compliqué avec R. parce que sa concentration est aléatoire et qu’il a parfois un comportement de dément mais il y a certaines tâches qui trouvent grâce à ses yeux.
Avant les vacances de Noël, A., leur prof principal décide d’emmener la classe dans une maison de retraite médicalisée. L’idée est de ressouder la classe où il y a beaucoup de problèmes internes et de les faire relativiser sur la vie. Quand il m’a demandé d’accompagner la sortie et de les aider à rédiger des cartes de vœux, j’ai accepté. La séquence en cours portait sur le conte, au lieu de faire une expression-écrite individuelle, on s’est lancé dans une écriture longue. Toute la classe planchait sur la rédaction d’un même conte en groupe.
J’avais mis R. avec trois filles plutôt sérieuses en me disant qu’il faudrait au moins ça pour le canaliser. Je crois que c’est le groupe que je suis allée voir le plus souvent. « Tout se passe bien ? », « Vous avancez? » , »R. tu aides les filles, n’est-ce pas ? »
« Oui, Madame, me répond A. C’est même lui qui a toutes les idées. »
Alors là, j’ai pris une chaise d’abord parce qu’il fallait que je m’asseye pour me remettre mais aussi pour rester travailler plus longuement avec eux.
Leur groupe était en charge des péripéties (l’ensemble des actions et épreuves que doit accomplir le héros). Leur histoire était une sorte de Prince of Persia de la cité. Pleins de trouvailles.
Si on regardait R. à ce moment-là, il était affairé, le stylo a la main, les lignes se noircissaient, ses camarades le regardant et se laissant porter. Non seulement, il était capable mais en plus il avait pris en main le groupe. C’était irréel.
Le jour de la sortie, il était prévu qu’ils lisent le conte à voix haute aux personnes âgées. La maman de R. lui avait fait la raie sur le côté et lui avait fait porté une jolie chemise pour l’occasion. Il s’est tenu à carreau toute l’après-midi.
Lorsqu’il a demandé à la responsable s’il pouvait offrir sa carte de vœux à Monsieur Bertrand (chacun avait un nom qui lui était attribué) elle l’a conduit à sa chambre.
« Bonjour, Monsieur, excusez moi de vous déranger, j’ai quelque chose pour vous.
-CASSE-TOI PETIT CON ! »
Merci les vieux.