Le syndrome de la vieille bique

Je pourrais aussi bien l’appeler le vieux biquet notez mais dans mon cercle actuel il n’y a que des vieilles biques alors.

Samedi soir, dans une émission sans grand intérêt présenté par un animateur au rire forcé (qui n’est pas Hanouna), la reine des vieilles biques était en promotion de son livre.

Le discours est simple et accablant : les jeunes sont nuls, ils sont désintéressés de tout, ils ne savent plus écrire, etc.

A ce petit cupcake nature vous pouvez rajouter différents toping : une ganache à la « c’était mieux avant », une crème au beurre de « de mon temps on ne faisait pas comme ça… » Et pour les plus gourmands un petit insert au chocolat « les profs sont nuls » ou plus subtil mais tout aussi savoureux la noisette »ce n’est pas la faute des enseignants, ils ne font qu’appliquer des textes de lois (ces ânes sans conscience) ».

La vieille bique, généreuse et prolixe (car elle n’est pas paresseuse, elle) offre ses pâtisseries à la pause déj, aux dîners entre collègues, le soir à la maison, partout où on la reçoit.

Et puis, c’est facile à manger et c’est facile à reproduire alors après à table il y a tout un tas de biquettes autour de la vieille bique. Et le « gnagnagnagna » que vous entendez ce n’est plus la mastication difficile du steak de la cantine, mais celui du cupcake.

Le problème c’est que tous les profs sont à un moment ou à un autre des vieilles biques. On ne s’en rend même plus compte. Chers collègues, faites attention au repas de midi et comptez combien de fois on se plaint des élèves et combien de fois on se réjouit… ET dites-moi dans quel état d’esprit on se rend en classe après ça ? Quel plaisir vous avez à retrouver des élèves sur lesquels on s’est répandu pendant des plombes ? Aucun.

Il m’arrive de faire des cupcakes aussi, avant d’aller en cours, en corrigeant des copies, en remplissant les bulletins.

Certes, le niveau baisse. Oui, les élèves sont plus mauvais qu’avant parce qu’ils ont plein de défauts dont la paresse et le manque de rigueur, le manque de maturité et l’addiction aux réseaux sociaux. Et ça, malheureusement, on ne pourra rien y changer à notre échelle. Il y a une éducation à faire avec les parents, les enfants, les profs et ça ne sera pas fait en un jour.

Il y a peu de temps, un de mes élèves me dit « bah de toutes façons on est nuls. Tout le monde dit qu’on n’est bon à rien les jeunes ».

Les gâteaux de la vieille bique ont tellement de succès qu’ils arrivent à traverser les générations.

Mince alors ! Le discours des adultes arrivent jusqu’aux oreilles de nos enfants et n’ont pas du tout l’effet escompté. Nous qui nous plaignons qu’ils ne nous écoutent jamais ! Les voilà dépositaires d’une parole qui au lieu d’entraîner un sursaut, les décourage.

Comment faire alors pour créer ce sursaut ? Le constat est fait et plus que fait donc que pouvons-nous faire pour leur donner l’envie? Le débat à mon avis se pose ici. Le réel enjeu c’est comment faire pour que nos jeunes redécouvrent le plaisir de l’école et le goût du travail.

Il y a du travail pour une vie je pense mais vaut mieux ça plutôt que de devenir une vieille bique, non ?

 

 

Lâcher prise 

Il a fallu du temps pour se l’avouer, du temps pour le verbaliser: ce n’est pas possible.

J’ai beau avoir un désir ardent à l’intérieur, je n’y arrive pas. 

J’ai beau essayer de me poser pour lire, de prendre quelques heures pour ficher un cours, rien n’y fait. 

L’agrégation. Ce précieux concours dont beaucoup de profs rêvent, ce sésame obtenu à la sueur de son cerveau et au prix de nombreux sacrifices. Je ne l’aurais pas cette année. Je ne l’aurais peut être jamais. 

Je la veux pourtant, elle est au sommet de ma liste de rêves. 

Mais dans l’état actuel de ma vie ce n’est pas possible et il va bien falloir l’accepter.

Sur deux établissement à plus de 40 minutes de chez moi, avec trois niveaux de collèges, un petit en bas âge et une vie de famille à maintenir. Je n’y arrive pas.

Je ne me fais pas à l’idée de bâcler mon travail, je dois encore construire mes séquences pour me conformer aux nouveaux programmes. 

Je ne me fais pas à l’idée d’accorder moins de temps à mon bébé, à faire manger du Picard à mon mari. 

Je n’arrive pas à me dire que je ne dormirai que 4 heures parce que je n’ai du calme que la nuit.

Je ne peux pas me dire que je vais encore aller passer 6 épreuves écrites dont deux dissertations de 7 heures pour rien, pour y croire malgré tout et être déçue ensuite, se remettre en question gratuitement sur ses capacités intellectuelles, sur ses capacités d’enseignantes même. Se dire qu’on est médiocre.

Ma charge mentale à moi c’est ce concours. Ce ne sont pas les lessives, les courses ou le ménage. Ce n’est pas mon mari. Ce n’est pas mon bébé. Ce n’est même pas mon travail.

Ma charge mentale c’est cette voix dans ma tête quand je joue avec mon petit garçon  qui me dit que je devrais aller m’asseoir pour bosser puisqu’il est calme et tranquille, quand je suis en ville avec ma mère, quand je regarde un film blottie dans les bras de mon mari. Ma charge mentale c’est cette pile de polycopiés et de livres qui ne cessent de s’accumuler sans jamais être ouverte. Ma charge mentale c’est être écroulée de fatigue à 21h sur le canapé et avoir envie de pleurer parce qu’on s’endort une page seulement après avoir ouvert L’éducation sentimentale pour la première fois de la semaine.

Alors pour la nouvelle année je me fais ce cadeau. Je m’ôte ce poids.

J’accepte que je ne suis pas Wonder woman, que dans ces conditions je ne peux pas passer l’agrégation externe de lettres modernes. 

J’essaye de me dire que je n’abandonne pas facilement, que je ne suis pas lâche. 

J’essaye d’oublier cet adage idiot qui répète « celui qui abandonne une fois abandonne toute sa vie » parce que je suis la preuve vivante du contraire.

Je pense à l’avenir, au moment de ma vie où les étoiles seront alignées pour que j’ai le temps, l’énergie et aussi l’ancienneté pour passer le concours interne.

J’essaye de ne pas penser à mes parents qui croient si fort en moi qu’ils sont persuadés que je peux gravir des montagnes à la seule force de ma volonté. Aux yeux de ma soeur si fière quand je lui dis que j’y retourne encore.

Ce n’est pas grave pourtant. Rien dans ma vie que j’aime si fort ne changera après cette décision. Je continuerai à faire du mieux que je peux, à ne pas travailler ce concours, à ne pas lire un programme imposé, à écrire sur mon temps libre et à aimer mon fils et mon mari de toute mon âme tout en ne voyant pas l’once d’une déception dans leurs yeux.

Je ne dis pas adieu à ce rêve que j’ai vissé au corps. Je le refuse. Je le reporte et je prie pour que la vie me gâte encore comme elle l’a si souvent fait.

Et pourtant je pleure un peu…