maman

J’ai depuis longtemps, si ce n’est toujours voulu être prof. J’ai toujours adoré l’école, j’ai été la chouchou du prof à l’école, j’ai été admirative de certains de mes profs, j’ai encore des contacts avec certains d’entre eux. Ce sont des profs qui m’ont donné envie d’être prof moi-même. Je crois que c’est ce qu’on appelle une vocation.

Mais celle que je suis lorsque je suis devant une salle de classe c’est à ma mère que je le dois.

Alors aujourd’hui je vais vous parler d’elle.

D’abord, ma mère est très belle. Elle l’a toujours été. Devant l’école ça a toujours été la plus belle des mamans. C’est mes copines qui le disaient. Elle est encore très belle. Elle a 56 ans et on dirait qu’elle vient de franchir le cap de la quarantaine.

Les belles femmes portent en elles une assurance, une démarche qui séduit ou énerve mais laisse rarement indifférent. Pas ma maman.

Ma maman, et c’est ce qu’il y a de plus incompréhensible, a très peu confiance en elle. Et d’aussi loin que je m’en souvienne je l’ai souvent entendu répété « Moi, je ne travaille pas, je n’apporte rien. » C’est ce qu’on appelle « une mère au foyer ».

La situation la moins enviable pour une femme: vous bossez toute la journée pour pas un sou et vous subissez sans arrêt le regard des autres parce que soit vous êtes soumise soit vous êtes entretenue.

« Ah ben oui, tu as le temps, toi. »

« Fatiguée ? Pourquoi elle est fatiguée, elle ne fout rien toute la journée. »

« Tu ne peux pas comprendre ce que c’est que le stress du travail. »

Année après année, ces phrases on les lui a balancées comme des gifles.

Et ces petites phrases elle les entend depuis 30 ans. Et elle n’a jamais rien dit. Et elles se sont inscrites en elle comme un poison qui s’est lentement distillé.

Mais ma maman, elle n’a peut-être jamais touché de salaire pour ce qu’elle fait mais elle s’est dévouée corps et âme, uniquement par amour. C’est un exemple.

Elle a pris un bateau pour rejoindre mon père et elle a tout laissé derrière elle: un travail qu’elle adorait, ses parents et sa sœur, ses amies, sa vie.

Quand la guerre a éclaté si fort qu’elle ne pouvait même plus les joindre, elle s’est battue avec tous les bureaux de la préfecture pour les faire venir. Ma grand-mère était très malade, elle n’a fait que courir les médecins et les hôpitaux pour l’aider. Et ce jusqu’à la fin.

Quand mon père a ouvert son labo, il lui a demandé si elle pouvait l’aider. Et elle a parcouru la ville comme coursier toute la journée même enceinte.

Elle et lui, ont accueilli mes grands-parents et ma tante chez eux. On a vécu à 7 pendant des années. C’était merveilleux.

Elle ne s’est jamais sacrifiée, elle a juste toujours fait tout ce qu’elle pouvait. Et elle peut tout faire.

Et puis, elle nous a élevées, ma sœur et moi: on n’a jamais mangé à la cantine, on a fait des tas d’activités parascolaires, nos copains venaient à la maison. On fêtait notre anniversaire à la maison, en famille, à l’école. Elle a toujours tout fait pour nous. Nous avons eu une enfance merveilleuse, sans faille.

Son empathie, sa douceur, sa patience, toutes ses qualités, je n’espère qu’à y tendre un peu.

Quand on a été diplômées, mon père en riant lui a dit:

« Alors, ça y est te voilà architecte et prof ! Bravo pour tes diplômes. » C’est bête mais c’est vrai, elle a vécu chacune de nos années d’étude avec nous, fière de nos réussites, triste de nos chagrins, à nous secouer quand il le fallait, à nous consoler aussi, beaucoup.

Ma mère croit qu’elle n’a rien fait de sa vie qui apporte à la société. Elle a pourtant vécu tant de vies. Si vous la croisez un jour, il est fort probable qu’elle vous a dise qu’elle a deux filles, que l’une d’elle est prof et l’autre architecte. C’est comme ça, on est sa carte de visite. Son gage de réussite.

Mais maman, je n’aurais jamais été la fille, la prof, la sœur, l’épouse, la mère que je suis sans toi. Et si ma vie est aussi riche d’amour que la tienne, alors moi aussi j’aurais réussi.

Merci pour qui tu es.

#balance ton prof !

Aujourd’hui, sans que rien ne le laisse présager, je me suis pris le #metoo dans la tête. Et je suis encore sonnée.

J’ai pas mal ressassé toute la journée, je me suis remise en question, j’ai essayé de comprendre et comme la seule émotion que je ressens est la colère et qu’elle a tendance à me faire dépasser les bornes je préfère vider mon sac ici et passer à autre chose.

Alors je vais vous raconter la conversation téléphonique la plus surréaliste de ma vie.

Tout a commencé hier, quand à 22h j’ouvre Pronote sur mon téléphone et que je vois un papillon soit un message . En réalité, cette journée a commencé à 6h30 dans mes toilettes ce qui m’a empêchée d’aller au collège. La gastro du mois de septembre, je n’avais jamais testé, je m’en serais passée.

Bref, je n’ai donc pas pu assurer mes cours mais j’ouvre quand même Pronote et je vois le message suivant:

« Juliette, le père de D… est venu au collège. Il est très remonté par rapport à un travail que tu as donné, il refuse que son fils le fasse. Je te laisse ses coordonnées, si tu veux nous le verrons ensemble mais l’entretien ne l’a pas fait bouger de ses positions. la CPE  »

Lire ce genre de message avant d’aller se coucher est une mauvaise idée. 1. vous ne pouvez rien faire vue l’heure, 2. vous allez gamberger toute la nuit.

Ma première réaction a été qu’il s’agissait d’un malentendu, je n’ai pas encore donné de travail à faire à mes élèves et je ne comprenais pas ce qu’un père pouvait me reprocher.

Je suis arrêtée aujourd’hui mais à 8h00 j’appelle le père en question. Persuadée que cette conversation est un malentendu et qu’en 2 minutes ça va se terminer.

« Oui, bonjour Monsieur, je suis le professeur de français de …. J’ai eu un message de la CPE et je pense qu’il s’agit d’un malentendu. » on est au téléphone mais j’essaye de faire en sorte que ma voix soit la plus souriante possible.

Et alors là, j’ai eu droit à la plus longue tirade de ma vie ! Mon père ne m’avait jamais sermonné comme ça au pic de mon adolescence ! Je vous balance les bribes de la conversation en vrac:

« le texte que vous faites lire est très choquant / faire lire à des enfants de 11 ans une histoire où une femme est assassinée parce qu’elle a fait cocu [sic] son mari / par les temps qui court on ne peut pas faire lire des choses pareilles / ma mère était prof et elle ne comprend même pas que vous fassiez ce choix/ il y a 20 ans je dis pas on pouvait lire ça mais aujourd’hui ce n’est pas possible/ je travaille dans le social et je vois la misère tous les jours… »

Je suis quelqu’un de calme, de patient, j’essaye de tourner ma langue 7 fois dans ma bouche mais là mon sang n’a fait qu’un tour et le sourire dans ma voix s’est envolé plus rapidement que les promesses de Macron.

Il m’accusait d’encourager à travers des textes littéraires les violences faites aux femmes. A moi, qui ai fait des débats en REP + entre filles et garçons sur l’égalité entre les sexes, qui ai sermonné mes adolescents d’origine maghrébines à propos de manspreading, qui ai encouragé aussi fort que possible chacune de mes élèves à s’affirmer et à oser et ceux quelque soit le collège où j’ai été.

Non mais c’est pas contre vous. Vous je vous connais pas. Vous êtes sûrement très bien.

Je lui confirme, je suis non seulement une bonne personne mais aussi un bon professeur et le problème n’est pas le choix de mon texte mais son lecteur qui n’a rien compris en l’occurrence.

Ouai vous pouvez dire que j’ai rien compris mais je sais ce que j’ai lu, ce mec il assassine une femme tous les jours, c’est très grave. ça choque les élèves. Moi mon fils n’était pas choqué, on parle de tout avec mon fils, je le suis, je suis derrière lui, je lis tout ce qu’il lit. je montre à tout à mes enfants, je ne leur cache rien. Et puis ça n’a rien avoir la religion ou avec l’Islam hein.

Oui, parce que mon texte est en réalité le début des Mille et une Nuits. Notez également qu’à aucun moment je n’ai pointé le fait qu’il s’agissait d’un conte oriental et que jusque là le débat portait sur les femmes.

Et tant pis si vous collez mon fils, j’assume.

Le fameux « j’assume » ! Si vous n’êtes pas friands de poubelles télévisuelles sachez que le « j’assume » est une expression fort utilisée et qui consiste à dire tout ce qui nous passe par la tête et à « l’assumer » comme si toute bêtise était légitimée à partir du moment où elle portait le tampon « connerie assumée » . On est loin du « j’accuse », très loin. Pardon, Emile, je t’aimais bien.

J’ai rassuré ce papa, son fils n’allais pas être mon bouc émissaire. Il ne juge pas ma personne mais sa mère et lui se sont quand même érigés en inspecteur académique, je choque les enfants et je fais mal mon travail car dans mon questionnaire 3 de mes questions portaient sur ses fameux assassinats. On ne va quand même pas expliquer pourquoi Shéhérazade se trouve dans la chambre du sultan pour lui lire des histoires, la prochaine fois je changerai l’intro. Au lieu du sultan, de Shéhérazade et de Dinarzade je ferai intervenir Nicolas, Pimprenelle et leur ami l’ours. (Au secours)

Alors avant de faire le bilan de cet appel je vous laisse découvrir le texte en question. Ils s’agit de l’incipit des Mille et une Nuits, texte magnifique au demeurant, au programme, proposé dans de nombreux manuels, et dont l’extrait est emprunté à une édition collège:

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Outre la blessure égocentrique ce qui m’a le plus interloquée c’est la confrontation avec la bêtise. La réflexion lisse et stupide qui ne vous permets aucune prise car vos paroles glissent sur elle. Je ne m’étais jamais confrontée à elle dans le cadre de mon travail. Plus encore, il y a dans cette arrogance de l’ignorance quelque chose de totalement désarmant. N’importe qui est capable de voir que la folie du sultan n’est qu’un prétexte pour faire intervenir un personnage autrement plus intéressant celui de Shéhérazade. Une femme qui à elle seule va sauver toutes les femmes de son pays grâce au pouvoir de la littérature. Aucun de mes élèves ne s’identifierait jamais au sultan. Si ce père avait réellement lu les 3 photocopies que j’ai distribuées il l’aurait vu, s’il s’était vraiment intéressé à mon questionnaire il aurait remarqué que mon objectif de séance était l’étude d’un personnage féminin sujet et que cet objectif était écrit textuellement sur la fiche. Mon étude de texte s’est achevée sur une comparaison entre Shéhérazade et les princesses de contes de fées occidentaux qui attendent d’être sauvée par le prince charmant, je leur ai expliqué comment leur imaginaire, et peut-être leur façon de voir la vie plus tard, pouvait être conditionnés par ses stéréotypes: les filles qui comptent sur les garçons pour les sauver, qui attendent le prince charmant et les garçons qui doivent porter le fardeau de la responsabilité, qui n’ont pas le droit de laisser transparaître leur émotions.

Evidemment que ce pauvre garçon ne va pas se retrouver en ligne de mire de son professeur. Il est déjà assez puni de vivre dans un environnement aussi étriqué et mesquin.

A toute chose, je m’évertue à rechercher le positif. « La plus petite lumière jaillit toujours des ténèbres » (kasdédi mon amour si tu as lu jusqu’au bout).

Notre métier est plus que jamais une nécessité. Apprendre à lire, à comprendre, à prendre du recul sur les mots, à développer son sens critique, lire entre les lignes, s’inspirer des textes, s’émerveiller avec eux.

N’en déplaise à ce monsieur, entendre mes élèves lâcher des « oh » de surprise quand je leur fais la lecture de ce texte est le plus beau cadeau qu’ils puissent me faire.

la petite fiche de rentrée

Cela fait quelques temps que je rumine régulièrement à mon cher et tendre la même chanson « j’ai envie de revoir toutes ma pratique pédagogique, il faut que je m’adapte davantage à eux, que je prenne en compte leur développement cognitif, blabla… » #stanislasdeheane

Vaste chantier vous le conviendrez.

Quelques interrogations et prises de recul s’imposent dans ma pratique de la lecture, de l’écriture et dans tous les domaines possibles. J’y réfléchis de façon récurrente.

Mais il y a une heure de cours que je n’ai jamais modifiée depuis ma première rentrée c’est la toute première heure de l’année. Vous savez cette heure un tantinet inutile où on ne fait pas grand chose si ce n’est remplir la page de garde du cahier / classeur et feuilleter le manuel…

Depuis 5 ans,  je distribue les mêmes documents. C’est ma tutrice de stage qui me les avaient donnés et je ne les avais jamais modifiés. Ma tutrice a été d’une telle richesse et d’une telle bienveillance qu’il ne m’est jamais venu à l’esprit de commencer l’année autrement. Et depuis, comme pour me porter bonheur, je distribue à chaque rentrée les mêmes règles de classe à respecter, le tableau d’évaluation du classeur, etc.

Cette année, Stanislas Dehaene et Catherine Guéguen m’habitant, j’ai décidé de m’émanciper de mes fétiches et de repenser ma toute première heure de cours.

Je n’ai pas réinventé l’eau chaude ni la poudre (les collègues font sûrement cela depuis belle lurette) mais j’ai essayé de modifier mon angle d’attaque.

Plus inexpérimentée, j’avais besoin de débuter l’année par des règles pour bien fixer les choses au cas où les élèves se mettraient à daber debout sur les tables en chantant du Maître Gims. Et ça marchait puisque mes élèves n’ont jamais eu ce comportement.

Cette année, j’ai axé ma première heure sur le plaisir d’apprendre, les livres que l’on allait découvrir ensemble, je leur ai présenté deux séquences différentes et je leur ai fait choisir celle qui leur faisait envie en les prévenant que toutes les séquences finiraient par être traitées dans l’année.

J’ai eu des sourires, des « oh ouai », des rires (ils sont gentils ils rient à mes blagues nulles)

Il me restait à régler le problème de « la fiche de présentation ». Je trouvais compliqué de débuter sans que l’on se présente. En même temps, telles que je les faisais avant je ne les lisais pas, elles restaient des mois dans mon sac jusqu’à finir à la poubelle. Véridique.

Et puis, avec Pronote les informations pratiques on les retrouve en un clic pas la peine d’avoir des archives. Et c’est très intrusif finalement de demander quelle est la profession des parents, s’ils ont des frères et sœurs, etc.
Alors quitte à être indiscrète, j’ai posé des questions encore plus personnelles: s’ils aiment lire, ce qu’ils lisent, s’ils ont des difficultés, ce qu’ils rêvent de devenir et s’ils ont une idée de comment s’y prendre pour réaliser ce rêve.

J’ai également créé une fiche d’objectifs à remplir trimestre par trimestre dans laquelle je leur ai demandé de définir 3 objectifs à atteindre: des objectifs simples et réalisables (écouter les cours, participer, relire son texte…) dont l’ampleur et les difficultés pourront s’accroître au cours des trimestres suivants. L’idée était de leur faire comprendre que toutes les bonnes résolutions ne peuvent tenir si les objectifs visés sont inatteignables.

Et seulement à la fin de l’heure je les ai avertis de ce qui se passerait en cas de travail non faits mais j’ai pris le risque de ne pas en faire une trace écrite, c’est un contrat verbal entre eux et moi. Pour les encourager, à la sanction négative s’oppose une sanction positive: si les règles sont respectées alors ce sera valorisé dans la moyenne. Ils auront ainsi un intérêt à bien se comporter. Encore une fois, mon idée est de quitter un peu le côté discipline pour instaurer une relation de confiance. S’ils font ce que j’ai prévu pour eux, ils vont progresser c’est garanti mais il faut que je gagne leur confiance pour qu’ils me suivent et de fait je leur

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balise le terrain.

Nous verrons si j’ai été trop souple ou si ce nouveau parti-pris va porter ses fruits.

Je vous tiens au courant !