#balance ton prof !

Aujourd’hui, sans que rien ne le laisse présager, je me suis pris le #metoo dans la tête. Et je suis encore sonnée.

J’ai pas mal ressassé toute la journée, je me suis remise en question, j’ai essayé de comprendre et comme la seule émotion que je ressens est la colère et qu’elle a tendance à me faire dépasser les bornes je préfère vider mon sac ici et passer à autre chose.

Alors je vais vous raconter la conversation téléphonique la plus surréaliste de ma vie.

Tout a commencé hier, quand à 22h j’ouvre Pronote sur mon téléphone et que je vois un papillon soit un message . En réalité, cette journée a commencé à 6h30 dans mes toilettes ce qui m’a empêchée d’aller au collège. La gastro du mois de septembre, je n’avais jamais testé, je m’en serais passée.

Bref, je n’ai donc pas pu assurer mes cours mais j’ouvre quand même Pronote et je vois le message suivant:

« Juliette, le père de D… est venu au collège. Il est très remonté par rapport à un travail que tu as donné, il refuse que son fils le fasse. Je te laisse ses coordonnées, si tu veux nous le verrons ensemble mais l’entretien ne l’a pas fait bouger de ses positions. la CPE  »

Lire ce genre de message avant d’aller se coucher est une mauvaise idée. 1. vous ne pouvez rien faire vue l’heure, 2. vous allez gamberger toute la nuit.

Ma première réaction a été qu’il s’agissait d’un malentendu, je n’ai pas encore donné de travail à faire à mes élèves et je ne comprenais pas ce qu’un père pouvait me reprocher.

Je suis arrêtée aujourd’hui mais à 8h00 j’appelle le père en question. Persuadée que cette conversation est un malentendu et qu’en 2 minutes ça va se terminer.

« Oui, bonjour Monsieur, je suis le professeur de français de …. J’ai eu un message de la CPE et je pense qu’il s’agit d’un malentendu. » on est au téléphone mais j’essaye de faire en sorte que ma voix soit la plus souriante possible.

Et alors là, j’ai eu droit à la plus longue tirade de ma vie ! Mon père ne m’avait jamais sermonné comme ça au pic de mon adolescence ! Je vous balance les bribes de la conversation en vrac:

« le texte que vous faites lire est très choquant / faire lire à des enfants de 11 ans une histoire où une femme est assassinée parce qu’elle a fait cocu [sic] son mari / par les temps qui court on ne peut pas faire lire des choses pareilles / ma mère était prof et elle ne comprend même pas que vous fassiez ce choix/ il y a 20 ans je dis pas on pouvait lire ça mais aujourd’hui ce n’est pas possible/ je travaille dans le social et je vois la misère tous les jours… »

Je suis quelqu’un de calme, de patient, j’essaye de tourner ma langue 7 fois dans ma bouche mais là mon sang n’a fait qu’un tour et le sourire dans ma voix s’est envolé plus rapidement que les promesses de Macron.

Il m’accusait d’encourager à travers des textes littéraires les violences faites aux femmes. A moi, qui ai fait des débats en REP + entre filles et garçons sur l’égalité entre les sexes, qui ai sermonné mes adolescents d’origine maghrébines à propos de manspreading, qui ai encouragé aussi fort que possible chacune de mes élèves à s’affirmer et à oser et ceux quelque soit le collège où j’ai été.

Non mais c’est pas contre vous. Vous je vous connais pas. Vous êtes sûrement très bien.

Je lui confirme, je suis non seulement une bonne personne mais aussi un bon professeur et le problème n’est pas le choix de mon texte mais son lecteur qui n’a rien compris en l’occurrence.

Ouai vous pouvez dire que j’ai rien compris mais je sais ce que j’ai lu, ce mec il assassine une femme tous les jours, c’est très grave. ça choque les élèves. Moi mon fils n’était pas choqué, on parle de tout avec mon fils, je le suis, je suis derrière lui, je lis tout ce qu’il lit. je montre à tout à mes enfants, je ne leur cache rien. Et puis ça n’a rien avoir la religion ou avec l’Islam hein.

Oui, parce que mon texte est en réalité le début des Mille et une Nuits. Notez également qu’à aucun moment je n’ai pointé le fait qu’il s’agissait d’un conte oriental et que jusque là le débat portait sur les femmes.

Et tant pis si vous collez mon fils, j’assume.

Le fameux « j’assume » ! Si vous n’êtes pas friands de poubelles télévisuelles sachez que le « j’assume » est une expression fort utilisée et qui consiste à dire tout ce qui nous passe par la tête et à « l’assumer » comme si toute bêtise était légitimée à partir du moment où elle portait le tampon « connerie assumée » . On est loin du « j’accuse », très loin. Pardon, Emile, je t’aimais bien.

J’ai rassuré ce papa, son fils n’allais pas être mon bouc émissaire. Il ne juge pas ma personne mais sa mère et lui se sont quand même érigés en inspecteur académique, je choque les enfants et je fais mal mon travail car dans mon questionnaire 3 de mes questions portaient sur ses fameux assassinats. On ne va quand même pas expliquer pourquoi Shéhérazade se trouve dans la chambre du sultan pour lui lire des histoires, la prochaine fois je changerai l’intro. Au lieu du sultan, de Shéhérazade et de Dinarzade je ferai intervenir Nicolas, Pimprenelle et leur ami l’ours. (Au secours)

Alors avant de faire le bilan de cet appel je vous laisse découvrir le texte en question. Ils s’agit de l’incipit des Mille et une Nuits, texte magnifique au demeurant, au programme, proposé dans de nombreux manuels, et dont l’extrait est emprunté à une édition collège:

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Outre la blessure égocentrique ce qui m’a le plus interloquée c’est la confrontation avec la bêtise. La réflexion lisse et stupide qui ne vous permets aucune prise car vos paroles glissent sur elle. Je ne m’étais jamais confrontée à elle dans le cadre de mon travail. Plus encore, il y a dans cette arrogance de l’ignorance quelque chose de totalement désarmant. N’importe qui est capable de voir que la folie du sultan n’est qu’un prétexte pour faire intervenir un personnage autrement plus intéressant celui de Shéhérazade. Une femme qui à elle seule va sauver toutes les femmes de son pays grâce au pouvoir de la littérature. Aucun de mes élèves ne s’identifierait jamais au sultan. Si ce père avait réellement lu les 3 photocopies que j’ai distribuées il l’aurait vu, s’il s’était vraiment intéressé à mon questionnaire il aurait remarqué que mon objectif de séance était l’étude d’un personnage féminin sujet et que cet objectif était écrit textuellement sur la fiche. Mon étude de texte s’est achevée sur une comparaison entre Shéhérazade et les princesses de contes de fées occidentaux qui attendent d’être sauvée par le prince charmant, je leur ai expliqué comment leur imaginaire, et peut-être leur façon de voir la vie plus tard, pouvait être conditionnés par ses stéréotypes: les filles qui comptent sur les garçons pour les sauver, qui attendent le prince charmant et les garçons qui doivent porter le fardeau de la responsabilité, qui n’ont pas le droit de laisser transparaître leur émotions.

Evidemment que ce pauvre garçon ne va pas se retrouver en ligne de mire de son professeur. Il est déjà assez puni de vivre dans un environnement aussi étriqué et mesquin.

A toute chose, je m’évertue à rechercher le positif. « La plus petite lumière jaillit toujours des ténèbres » (kasdédi mon amour si tu as lu jusqu’au bout).

Notre métier est plus que jamais une nécessité. Apprendre à lire, à comprendre, à prendre du recul sur les mots, à développer son sens critique, lire entre les lignes, s’inspirer des textes, s’émerveiller avec eux.

N’en déplaise à ce monsieur, entendre mes élèves lâcher des « oh » de surprise quand je leur fais la lecture de ce texte est le plus beau cadeau qu’ils puissent me faire.

5 réflexions sur “#balance ton prof !

  1. Triste expérience, Madame-Madame ! mais somme toute assez banale, malheureusement…
    Personnellement, je me suis vue, un soir, insultée, au téléphone, parce que je copiais mes cours sur le blog « Lefildelaure » (Hahaha !). Lequel blog avait été présenté et utilisé en classe de multiples fois.
    Parfois, côté parents, on parle à des murs… qui ne demandent même pas à leurs enfants ce qui est vécu, appris etc. en classe, parfois on tombe sur des gens formidables qui vous font des compliments qui rachètent cent cas de cette espèce…

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    1. Euh… ! « Qu’ils puissent » ou « qu’il puisse »… mais certainement pas « qu’ils PUISSE… »
      Pour dire que lorsqu’on écrit sur écran, nul n’est à l’abri d’une erreur.
      Et cela d’autant plus que le programme de WordPress souligne tous les mots en rouge, car le correcteur est anglophone, ce qui ne facilite pas la relecture.

      J’aime

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