Les vacances

Nous autres, professeurs, n’avons pas le droit d’être fatigués parce que nous sommes « toujours en vacances (tas d’feignants) ». J’ai l’habitude d’entendre depuis 5 ans: « Alors, en vacances ? / Bientôt les vacances ? Déjà les vacances ? » Je ne vais pas me justifier encore là dessus, je suis assez grande pour savoir le travail que je fournis et que j’ai des raisons d’être épuisée au bout de la 7e semaine.

Jeudi après-midi, une de mes classes de 5e est particulièrement bavarde et agitée et au bout du 20e rappel à l’ordre je lâche un « Heureusement demain c’est les vacances, je suis épuisée! »

C’est la première fois qu’un élève me répond:

« Mais Madame, pourquoi vous êtes fatiguée vous avez 10x plus de vacances que mes parents ? »

et l’épuisement aidant:

« Tes parents, contrairement à moi, ne te supporte pas toute la journée. »

Bon. Niveau bienveillance on repassera…

Que mes élèves aient parfois des remarques déplacées, j’ai l’habitude, c’est dû au climat que j’ai instauré dans ma classe. Je leur parle très librement, je ne leur mens pas, leur explique pourquoi je m’absente, quand je reviens, je leur dis quand j’aime un texte, etc. Je leur donne un peu de ma vie pour qu’ils aient confiance et me suivent partout où je veux les emmener. ça marche, j’en ai encore eu la preuve jeudi , on y reviendra une autre fois.

Mais c’est à double tranchant parce que la parole libre, j’en fais parfois les frais.

Là, que J-J me balance ça en pleine poire j’avoue ne pas l’avoir vu venir. Je ne lui en veux pas parce que c’est un garçon adorable par ailleurs et que je n’ai aucun problème avec lui.

Mais sachez, amis parents, que vos enfants sont le miroir de votre foyer. A leur façon de parler, de dire ou non bonjour, dans leur façon de réagir les uns avec les autres, et dans les phrases qu’ils sortent parfois très naturellement parce qu’on en parle à table à la maison, nous savons beaucoup de ce que vous pensez vraiment. Nous savons pour qui vous votez, nous savons ce que vous mangez, si vous mangez bien, si vous vous occupez d’eux, si vous leur avez appris à se laver, même si vous leur dites « je t’aime ».

Là, j’ai appris une chose sur la famille de JJ hier, que sûrement à table ou ailleurs, on doit dire que quand même « ils en foutent pas une rame soit ils sont en vacances soit ils sont en grève. »

On sait.

Tout.

L’effet Baudelaire

Encore un mot sur mes 5e, il faut dire que c’est un niveau que j’aime. Ils sont encore dans la candeur de la préadolescence, ils sont partants pour toutes les expériences et en même temps ce ne sont plus les petites choses apeurées de la 6e.

Aujourd’hui, on a lu « L’invitation au voyage » de Baudelaire et encore une fois c’est quand on y croit le moins que la séance marche le mieux.

On commence la séance par la lecture à voix haute du poème. C’est un plaisir égoïste que je me réserve en leur prétextant qu’ils comprendront mieux si c’est moi qui lit.

Ils écoutent toujours quand on leur fait la lecture. Mais ce poème-ci, ils ne l’ont pas juste entendu, ils l’ont saisi au vol et n’ont pas voulu le lâcher. L’émotion esthétique, la vraie, celle que seule la littérature peut provoquer. Si bien qu’ils en ont redemandé. Ils ont tenu à le lire eux-même. Une de mes classes a voulu l’entendre trois fois d’affilée.

Les élèves, c’est un peu comme des nouveaux-nés, quand ils vous sentent épuisés ils vous font des cadeaux gratuits : un sourire, un « oh c’est déjà la fin », un « encore une fois s’il vous plait Madame. »

Qui dit Baudelaire, dit « spleen », le poème étant extrait de « Spleen et Idéal » des Fleurs du mal.

« C’est quoi le spleen Madame ?

– Le spleen, c’est un état mélancolique, c’est quand parfois la vie pèse trop lourd. Le spleen c’est comme quand vous vous arrivez en classe et que vous nous gratifiez d’un « pffffiou » bien sonore alors que vous venez de passer la porte.

-Ah oui, on a souvent le spleen en arrivant au collège !

-Vous ne connaissez pas la chanson d’Angèle ?

-Si, si ! ‘le spleen n’est plus à la mode !’

-Exactement, c’est ironique en fait. Elle reproche à notre société de ne laisser aucune place à la mélancolie, comme si on n’avait plus le droit d’avoir mal ou d’être malheureux, comme si le bonheur ça ne tenait qu’à nous.

-Ahhhh ouai, s’étonne N., moi je croyais qu’elle disait « le split » comme dans banana split. »

Cette chanson ❤ Angèle – Tout oublier

où on a écouté de la musique

Deux de mes classes de 5e ont commencé à travailler sur le voyage en littérature, et la première séance consiste à étudier le poème de Du Bellay « Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage ». Du Bellay compte parmi mes auteurs préférés, je le leur dis, donc ils le traitent avec le respect qui lui est dû.

Comme toute bonne séance, il faut penser un objectif vers lequel on souhaite amener les élèves. Le mien était sobrement intitulé « redécouvrir le lien entre poésie et musique au travers d’un poème du XVIe s. »

Pour ce faire, je leur passe la reprise du poème faite par Ridan en 2009 sans leur distribuer le texte.

L’exercice est simple: tout le monde se tait, ferme les yeux, écoute la musique et se laisse transporter. Ils doivent ensuite raconter où la chanson les a emmené.

Ils se prêtent volontiers à l’exercice et les observer à ce moment-là c’est un peu comme les regarder dormir, terriblement impudique donc fascinant.

Certains ferment les yeux et arborent un petit sourire, d’autres les plissent très fort comme pour ne pas laisser s’échapper l’image qu’ils ont fabriqué, les plus pudiques cachent leur tête entre leur bras. Voilà mes 5e en train de méditer sans s’en rendre compte.

J’ai un pincement au cœur quand je vois A., les yeux grand ouverts, qui me dit qu’elle ne voit rien, que du noir. Qui a bien pu tuer son imagination à seulement 12 ans ?

La chanson se termine et c’est le moment de la restitution. Ils ont voyagé en bateau, se sont promenés dans une forêt, mangé des chamallows grillés un soir d’hiver au coin du feu, ont senti les embruns et entendu les vagues.

Et puis E lève la main.

E. est un garçon gaillard, plutôt du genre ours mal léché à qui les autres élèves ne cherchent pas des noises et qui après chaque séance me gratifie d’un animal en origami. Du velours dans une armure celui-là:

« Ben moi Madame, je suis parti un peu loin…

– Tu veux bien nous raconter ?

-ouai… alors moi j’étais sur un port, un bateau est venu me chercher, je suis monté dedans mais en fait c’était des pirates. Alors je me suis battu contre eux, je les ai tous tué. Le bateau a vogué un moment et puis il y a eu une tempête c’était la nuit. Heureusement on a échoué sur une île, un monstre terrible est sorti de nulle-part je l’ai transpercé d’un coup d’épée et là…

– oui ?

-il s’est transformé en un nuage de papillons violets. »

Le poème date de 1558 et il les a fait voyager en 3 minutes. Joachim mieux que Jul.

N.B je vous la mets en lien pour que vous l’ayez en tête un moment.

Ridan – Ulysse