où mes 5e ont joué du Molière

Cela fait quatre semaines qu’ils sont dans les starting blocks. Quatre semaines qu’ils ont sélectionné la scène et le rôle, qu’ils pensent à leurs placements et à leurs déplacements, qu’ils récitent et répètent.

La semaine dernière mes cinquièmes ont joué des extraits du Bourgeois Gentilhomme.

Dès la sonnerie de 14 heures, je viens les chercher en rang quand M. me saute dessus en hurlant « Ah ! La belle chose que de savoir quelque chose ! »

OK.

Je jette un œil sur le reste du groupe; la moitié est chargée de gros sacs pleins de bazar.

Apparemment, ils sont prêts.

Je pourrais vous raconter comment ils savaient leur texte, comment on a essayé ensemble de comprendre ce texte pas facile en comparant M. Jourdain aux Tuches, comment ils se sont évalués les uns et les autres, comment ils ont pensé leur mise en scène, …

Mais cette journée passée à les écouter a été une telle surprise que je n’ai pas du tout envie de parler pédagogie.

Ce que j’aimerai vous montrer c’est plutôt…

Le soin qu’ils ont apporté à choisir leur accessoires avec les moyens du bord (un tablier pour Nicole la cuisinière, un chapeau, une vieille perruque, les vieux bouquins de mamie pour le Maître de Philosophie, une épée en plastique volée au petit frère pour le Maître d’armes).

Les voir inspirer profondément juste avant de se lancer dans le vide et puis, en une seconde, incarner quelqu’un d’autre et sortir de son corps.

Les entendre faire sonner des mots si vieux et si beaux dans leur bouche adolescente.

« Quoi ! quand je dis ‘Nicole donnez mes pantoufles et me portez mon bonnet de nuit!’ c’est de la prose ?

Voilà quarante ans que je fais de la prose sans que j’en susse rien ! » s’écrie L. si discrète d’habitude sans pouffer sur ce subjonctif imparfait des plus équivoques.

« On peut les mettre premièrement comme vous avez dit ‘Belle Marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour’, ou bien ‘d’amour mourir me font belle marquise vos yeux beaux’ ou bien ‘me font vos yeux beaux, mourir, belle marquise, vos yeux… » récite sans trembler E.

Et même A, dyslexique, qui chausse des lunettes pour l’occasion, posées sur le bout du nez prêtes à tomber, apprend les voyelles à M., dyslexique aussi, sous les rires de toute la classe « La voix A se forme en ouvrant bien la bouche : AAAAAAAAAA »

Ils étaient si drôles et si vrais et si sincères.

Ils ont ri. Ils se retournaient quand ils m’entendaient rire aux éclats parce qu’ils étaient irrésistibles et riaient de plus belle.

« Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avez réalisé aujourd’hui. Si Molière savait en écrivant cette pièce qu’on serait tous ensemble réunis dans une salle de classe, rendant son texte aussi vivant et aussi vrai quatre siècles plus tard, je crois qu’il serait très fier. »

Pour terminer la séance, quelques minutes nous restant,  je leur montre la scène 2 de l’acte IV : la plus belle et la plus drôle de la pièce, jouée par les Comédiens Français.

Ils murmuraient les répliques comme on le fait de son film préféré; fiers de connaître les paroles aussi bien que les professionnels et bercés par la musicalité des mots de Molière.

Le théâtre dans toute sa vérité.

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