Conflit de loyauté

41Hj3mHpEfL._SX331_BO1,204,203,200_J’avoue ne pas être très à l’aise avec cet article, je préférerai vous raconter mes 6e qui s’arrachaient les cheveux avec leur tableau de présence du Médecin malgré lui.

Je n’ai pas géré la situation et elle me pèse un peu ce soir, alors autant que ça sorte.

Le féminisme est un sujet qui m’est cher, comme à beaucoup,  mais dans le quartier où j’enseigne il ne va pas de soi.

Par exemple, ma classe de 4e a une répartition quasi égale entre filles et garçons et pourtant les garçons sont tellement pénibles que les filles n’ont pas de place. Crée leur cette place, me direz-vous avec raison mais c’est qu’ils font tellement de bruits ! Ils prennent la parole sans arrêt, je m’interromps toutes les deux phrases:

-Farid tais-toi ! Hocine rends son stylo à Ayoub qui arrêt de bavarder avec…

c’est comme ça depuis 5 mois.

Si bien, que je n’entends pas le son de la voix de certaine filles et ça me désole.

Tout à l’heure, j’avais des 5e en ‘devoirs faits’ et ils révisaient leur EMC (éducation civique).

Léna qui m’aime bien et veut toujours s’asseoir à côté de mon bureau, me demande un peu embêtée:

-Madame, comment on fait pour apprendre quelque chose avec lequel on n’est pas d’accord ?

Pour vous situer, la leçon portait sur l’égalité entre les citoyens.

-Comment ça tu n’es pas d’accord ?

-Ben… oui c’est pas vrai que les filles et les garçons c’est pareil. Une femme, elle écoute son mari, c’est normal.

Lina voit sa maman, ses tantes, peut-être ses grandes sœurs vivre ainsi. L’obéissance est le terme qu’elle a employé. Elle a 12 ans et n’est pas encore capable de remettre en cause son modèle. Je sais que notre rôle est de lui apporter cette ouverture d’esprit-là. Mais…

-Si Toto était ton mari ? (un de ses camarades) Voudrais-tu qu’il te donne des ordres ?

-Ahhh ben non, mais lui ce sera jamais mon mari ! Moi j’aurais un bon mari.

-Mais Léna, ce que tu dis là n’est pas vrai partout. C’est culturel. Ce sont des traditions. La loi ne dit pas ça. L’école de la république ne dit pas ça. Tu n’es pas un animal domestique, tu n’as pas de maître. Un bon mari, c’est un mari qui t’aimera libre et qui sera content de te voir faire un travail qui te plait, qui sera fier si tu gagnes plus que lui. Toi, tu es jeune, tu es maligne, tu es dans un pays où tu peux faire tout ce que tu veux. Tu comprends ?

-Mouai… n’empêche j’arrive pas à l’apprendre cette leçon…

La moue de Léna me brise le cœur.  Je sens bien que mes paroles ne parviennent pas à l’atteindre. Peut-être fera-t-elle son chemin malgré tout et se trouvera-t-elle des modèles en dehors de son cercle familial.

J’ai tout de même voulu calmer mes petits machos de 4e aujourd’hui qui étaient au bord de l’explosion quant au choix de la date du contrôle:

-Taisez-vous ! Je ne veux plus entendre un seul garçon !

-Quoi !!! Mais madame, c’est du sexisme !!!

-Chut ! Le premier garçon qui ouvre la bouche oblige tous les autres à lire Le Cid pour lundi. C’est pas du sexisme, c’est pire: c’est du matriarcat !

-Alors, mesdemoiselles, je vous écoute !

Et on a fixé la date. ça leur a fait les pieds.

#Nairobistyle

le séminaire académique

DSC_0074_580724.54Il y a quelques semaines je reçois un ordre de mission m’indiquant que le séminaire « devoirs faits » se tiendra le 29 janvier. Comme il ne me serait jamais venu à l’idée de m’inscrire à ça, je vais voir la cheffe adjointe pour lui demander des explications:

-Ah oui, me dit-elle, ce n’est pas un stage c’est un Séminaire Académique. Je vous y ai inscrit et j’y vais aussi d’ailleurs.

Un peu coincée et un peu dégoûtée de passer toute la journée de mercredi en stage alors que je n’avais que deux heures de cours, je me rends au dit séminaire.

Non mais c’est quoi ce truc ?

500 personnes réunis à Sup de Co, pardon Montpellier Business School (profs, CPE, chefs, inspecteurs, DASEN…) pour assister à des conférences. Petits fours et buffet compris.

Je rentre dans le hall bondé en me demandant ce que je fais là au milieu de tout le gratin de rectorat. Tout le monde est venu accompagné de collègues et de son chef. Je suis seule et j’ai cherché ma cheffe toute la journée, sans succès.

Et là, on me saute dessus: d’anciens collègues ! Ouf ! Mon syndrome de l’imposteur commençait à me faire des auréoles sous les bras… On a bien eu le temps de se raconter les derniers potins parce que le bazar qui devait commençait à 8h30 n’a commençait qu’une heure plus tard.

Je me demandais qui était cette dame assise dans un fauteuil sur scène qui faisait semblant de ne pas voir que tout un amphi l’attendait. C’était la conférencière, chercheuse au CNRS de Paris.

Puis annonce: « Mme la rectrice s’excuse, elle a été appelée à Paris. Hier soir. »

Si un de mes élèves m’avait sorti un truc pareil, je peux vous dire qu’il aurait été bien reçu.

Mais bon, l’éducation nationale a déposé le « fais ce que je dis pas ce que je fais », du coup on ne peut rien faire sinon on paye des droits à la SACEM.

Bon, je vais vous passer mes envolées sur les stages. C’était hyper-méga-giga intéressant. J’ai envie de tout tester et de tout refaire comme d’habitude. Ils ont réussi à me faire croire que j’allais penser mes progressions sur devoirs faits. Bref c’était top.

La première conférence s’est quand même terminée sur une question d’une CPE qui demandait:

‘Les dispositifs que vous présentez sont fabuleux et passionnants. On est tous conscients que nos pratiques ont besoin d’évoluer et elles évoluent pour beaucoup. Mais, voyez-vous, je suis CPE d’un établissement de 660 élèves. Je suis toute seule. Et mes collègues, ils ont 30 élèves par classe et on n’arrête pas de leur sucrer des heures et des postes. Certains enfants ne savent ni lire ni écrire en 6e. On ne parle même pas des troubles dys et des TDAH. Est-ce que le système est conscient qu’il nous demande de fonctionner uniquement sur nos ressources propres sans jamais donner les moyens de la réussite ? »

C’était le DASEN qui tenait son micro. J’aimerais croire que lui aussi a eu des auréoles sous les bras. Mais j’en doute.

C’est vrai quoi, on pourrait peut-être arrêter à un moment de croire que ce sont les profs qui cassent des élèves dans un système savamment pensé pour broyer les plus fragiles…

 

 

 

Le microcosme

La salle des profs est un microcosme. C’est un lieu de passage aux récréations, c’est un lieu de partage au moment des repas. C’est aussi là que l’on garde son petit monde, dans son casier. Je vous reparlerai un jour du casier, c’est tout un poème.

Dans la salle des profs on trouve toujours; un frigo, des toilettes, du café. Dans les endroits les plus fancy on peut avoir une photocopieuse et un micro onde. Les bonus sont au bon vouloir du chef d’établissement. Dans ma courte carrière j’ai vu:

  • des salles des profs où des canapés avaient été remplacés par des chaises inconfortables parce que « des profs ne devraient pas s’affaler ». Quand j’étais enceinte, il m’est arrivé de dormir les pieds sur un fauteuil, la tête sur mon sac lui-même posé sur l’accoudoir en bois du fauteuil d’en face… Pas besoin d’être enceinte pour tenir moins droit après 4 heures de cours, cela dit.
  • des micro ondes supprimés parce que ce n’est pas réglementaire de ne pas manger à la cantine aka « les commensaux ».
  • pas de photocopieuse parce que les profs ne savent pas s’en servir mieux vaut confier cela à la loge.

Cette année, nous sommes dans un bahut tout neuf, la salle des profs n’est pas hyper fonctionnelle mais elle est grande et vraiment agréable pour travailler. La machine à café est bonne et la photocopieuse marche presque tous les jours.

Dans une salle des profs, ça parle de tout ce qui concerne le collège de manière concise (parce que la récré c’est 10 minutes et qu’il faut passer aux toilettes, prendre son café, le boire et régler les affaires courantes) et efficace.

Pour vous donner une idée rien qu’aujourd’hui:

– Avec ma collègue d’anglais, avec qui on convoiture, on arrive au collège à 7h35 (on prend la route à 6h50) pour faire les photocopies de la première heure et éviter la queue à la machine.

-Mon collègue d’HG est venu me demander si je pouvais lui laisser la classe de 6e un lundi après-midi pour une sortie au musée. Comme il n’avait pas besoin que je l’y autorise je lui ai dit en plaisantant « Ok, si je viens. » Il était 10h10. A 13h il m’apportait les papiers à signer. EFFICACE.

-Si des élèves frappent à la porte à la récré, il n’est pas impossible qu’ils entendent une vingtaine de voix crier en chœur « y’a personne! »

-« Un café ! Quelqu’un a une dosette ? Quelqu’un a 50 centimes ? je rends au centuple demain ! »

-« Qui a les 6C tout à l’heure ???? J’ai des photocopies à distribuer.

-Entre temps, il a fallu caler le rdv avec la mère de Yasmine qui part en sucette depuis plusieurs semaines, contacter le conseillère d’orientation pour les prépa pro, faire le rapport suite à l’exclusion de cours du matin.

Il est 12h30, le tup n’est pas encore rentré dans le micro onde. ça sonne dans une heure.

Finalement, après toute cette agitation, on s’est posé une demi-heure pour manger et là deux collègues nous ont appris la voix pleine d’émotion qu’elles avaient été victime de harcèlement sexuel, que ça avait été assez loin. Que pour la première fois de leur vie elles ne s’étaient pas senties protégées sur leur lieu de travail. Elles ont cru, elles aussi, comme trop d’autres,  avoir affaire à un « gros lourd » tout en sachant bien qu’un type normal, même lourd, comprend quand on lui dit « non. » Elles ont employé les termes de « proie » et de « vulnérable. » Ce sont des filles fortes, bien dans leurs baskets, très belles et qui font de la boxe. Et pourtant, à ce moment, elles ne savent pas si l’institution saura les protéger. Si ce type pervers qui est au contact d’enfants pourra continuer tranquillement. Elles ont été courageuses d’en parler mais ça a été dur.

La salle des profs c’est le lieu des confidences, des câlins parce qu’on a le blues, parce que c’est dur, parce qu’on est fatigué, du chocolat laissé sur la table, du coup de coude d’à côté et du petit « ça va? » qui fait plaisir, des larmes de colère, des boules aux ventres les jours d’inspections, des fous rires et pas qu’à cause des élèves, des disputes sur les visions pédagogiques, des PAP à remplir pour les dys-lexique/orthographiques/praxiques/calculiques, des ventres des collègues qui s’arrondissent, des faire-parts et des poster syndicaux sur les murs, c’est le bonjour à 8h, à 10h, à midi, les apéros de pré vacances, la galette des rois, les œufs en chocolat, le secret santa, …

C’est la vie en équipe où l’on prend soin les uns des autres. Il y fait chaud, même quand le chauffage est en panne.

 

 

 

où on a respiré

bambou Aujourd’hui, forte de mon stage de vendredi, j’ai eu envie de tenter la méditation avec mes élèves. Ce n’était pas prévu et face à leur énervement de l’après-midi, j’ai fait une pause de 3 minutes dans mon cours.

Ce qui m’a surpris chez mes 6e, c’est que dès que j’ai dit : « Bon, fermez les yeux » la plupart d’entre eux savaient très bien où j’allais et s’en réjouissait à l’avance. Visiblement c’est une pratique qu’ils connaissaient de l’élémentaire et cela leur plaisait beaucoup. Alors pas surprenant, qu’avec ces élèves-là, ça a pris tout de suite. Pour d’autres…

Pourtant, j’ai fait ça bien. J’ai pris ma voix de présentatrice de libre antenne, un volume sonore moitié plus bas qu’à l’habitude et je commence:

« fermez les yeux et respirez profondément. »

Et cette action n’allait pas de soi.

Je me suis rendue compte que de leur demander de fermer les yeux, nécessitait un environnement de confiance. Comme s’il fallait qu’ils soient certains que rien n’allait leur tomber dessus.

« Fermez les yeux, il ne va rien se passer, ça ne va pas durer longtemps. »

Deux élèves n’ont pas réussi à tenir. Ils ont fermé les yeux quelques secondes et les ont rouverts.

Peut-être que cette pratique leur était totalement étrangère et qu’ils avaient besoin d’observer les autres avant de se lancer. Je n’ai pas forcé.

Les collègues qui pratiquent la méditation avec leur classe sont unanimes sur les bénéfices de la pratique. Cela dit, ce n’est pas non plus hyper courant.

Quand, j’ai fini de parler, je leur ai simplement demandé d’ouvrir les yeux à leur rythme, de ne pas parler pour ne pas déranger les autres et ne pas perdre la concentration gagnée.

J’ai essayé moi aussi de continuer mon cours en parlant bas mais rapidement mon débit s’est accéléré et j’ai senti que je forçais à nouveau sur ma voix.

La méditation c’est un chemin sur lequel il va nous falloir avancer à notre rythme, eux comme moi.

Madame à l’école

« Ahhh ce qu’on se sent bien après un stage ! C’est comme une respiration ! soupire ma collègue Marie après 6 heures de formation sur les neurosciences.

Et c’est vraiment l’effet des stages auxquels on s’inscrit. Ils ne sont pas toujours de qualité égale, certains sont même franchement mauvais. Mais parfois on a la chance de tomber sur des formateurs passionnés et ça change tout.

On y vient un peu sur la pointe des pieds. C’est le mélange curieux de l’excitation de la découverte et de la peur de l’inconnu.

Puis, quand on s’installe un peu, on apprend à connaître ce(ux) qui nous entoure. On regarde, on écoute, on questionne. Tout est nouveau, riche, ça rebondit, ça fait bouger dans ses croyances. On résiste mais on à peur de passer à côté de quelque chose, alors on se laisse aller.

Quand on a beaucoup de chance, c’est le coup de foudre, c’est la passion avec le sujet. On écrit frénétiquement pour ne pas oublier, pour se rappeler, pour garder une trace.

C’est une respiration dans le quotidien, une source de motivation et d’inspiration. On veut tenter, bousculer, on est pris par un sentiment d’ urgence. Alors on veut tout changer, faire de la place pour la nouveauté, l’inscrire dans la durée.

Et avant de le voir venir, c’est fini.

Et on prie pour que ça recommence.

À lundi