La récompense

Ce matin, au hasard d’un détour par les chaînes d’infos, j’apprends que Roman Polanski a obtenu le César de la meilleure réalisation.

J’avais comme tout le monde suivi la polémique mais j’admets ne pas avoir fait plus de recherches que cela. Je n’ai pas vu le film non plus.

Cette histoire pose la question de l’art, du génie et l’insoluble problématique:

Peut-on distinguer une oeuvre de son créateur ?

Je ne vois pas comment on pourrait répondre simplement « oui » ou « non » à cette question.

Les arguments des deux côtés sont pertinents. Le récompenser c’est « cracher au visage de toutes les victimes » s’écriait hier sous le coup de la colère Adèle Haenel. En même temps, j’ai lu Céline et j’ai lu tout un tas d’œuvres dont les auteurs sont certainement très douteux. « Autre époque, autre mœurs ». Mais au fond, c’est tout aussi bidon comme argument. C’est simplement une manière de botter en touche.

Dans une interview, Vincent Cassel, répondait un peu embêté, « le problème des génies c’est qu’ils ont toujours un truc de fêlé quoi. » Et je crois que c’est vrai. Je ne pense pas que l’art puisse sortir autrement que par une brèche. « Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter d’une étoile qui danse » écrivait Nietzsche (repris par Manu Larcenet dans sa dernière bd).

En ce sens, je pense, que l’on peut distinguer l’oeuvre de son auteur. Je ne me sentirai pas mal à l’aise d’aller voir le film de Polanski. Je n’aurais pas l’impression de salir la cause féministe. Ni de commettre un acte subversif.

Tout de même cette histoire de César va plus loin. Et se pose alors la question du statut de la récompense.

« Meilleure réalisation ».

Difficile dans cet intitulé de distinguer l’auteur de son oeuvre, non ?

Une récompense envoie un message. Quel message envoie l’Académie des César en faisant cela ? Le jury est présidé par Sandrine Kiberlain, une femme militante. Est-ce une manière de dire que l’on refuse la bien-pensance ? Est-ce que le combat des femmes est bien pensant ? Est-ce un acte corporatiste et solidaire envers l’un des leurs ? C’est compliqué de trancher.

Si le message n’est pas clair, c’est le statut de la récompense qui pose problème. Avait-elle vraiment lieu d’être ?

Dans les moments de doute face à nos problèmes d ‘adultes,  je me demande toujours: si c’était mon enfant, qu’est-ce que je lui dirai ? Si c’était mon élève, qu’est-ce que je ferais ?

En conseil de classe, si un enfant a de très bon résultats mais que son comportement n’est pas acceptable. Il n’est pas félicité. Pourquoi ? Parce que le message qu’on lui enverrait serait : ton comportement est inacceptable, continue comme cela c’est bien. Si votre enfant, qui est par ailleurs créatif, brillant, malin, futé, fait une bêtise. allez-vous lui donner un bonbon pour le récompenser ?

La récompense envoie un message. C’est un jugement positif sur une personne. On peut remettre en cause sa raison d’être. Mais si elle existe, il faut toujours s’interroger sur le message qu’elle envoie.

Et celui-ci, il pue de mon point de vue.

Les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain, espérons que nous en ferons de meilleures adultes que nous et qu’ils seront à la hauteur de ce qu’ils promettent.

Solidarité ?

« bon y’a un groupe qui va peut-être rendre le truc au chef ce soir… ils veulent voter avant entre eux. »

A. est dépité quand il vient nous annoncer cela. C’est l’un des représentants syndicaux du bahut: il est libertaire, il lit des tas de trucs scientifiques et des dystopies et surtout il est très engagé.

Et aujourd’hui on avait été réquisitionné pour faire notre deuxième demi-journée de solidarité sur le thème du projet d’établissement. Je ne vais pas vous bassiner avec ledit projet et les heures de faux débat que l’on a eu. Mais un mot d’ordre avait circulé, lancé par un syndicat, pour que l’on fasse de la rétention de documents tant que la réforme des retraites n’avait pas été retirée. Oui, c’est symbolique, et sans doute que ça ne servira à rien. Mais une lutte sans symbole n’a pas de sens et si on était plein à faire ça, et bien ça pourrait toujours montrer qu’on est là.

Toute la semaine, on a sondé les collègues à propos du projet et aucun, je dis bien aucun, n’a dit à voix haute qu’il ne le ferait pas. A priori tout le monde était d’accord.

ça c’est assez typique du fameux microcosme. Aux oubliettes l’humanisme !

Comme dans toute société,  il y a des privilégiés qui sont toujours très proches du pouvoir en place. C’est pratique pour les chefs parce qu’ils ont des oreilles et des yeux en salle des profs et en échange, ces privilégiés ont des compensations en nature comme l’acceptation de projets ou plus banalement un bon emploi du temps. Tout le monde le sait. C’est comme ça.  D’autres, ont de véritables scrupules à contester l’autorité. C’est-à-dire que risquer de contrarier le leadership, c’est juste inconcevable. Il faut des gouvernants pour nous gérer,nous,  pauvre plèbe et ces gouvernants ne peuvent que vouloir le bien commun.

De mon côté il y a belle lurette que je ne crois plus au « one to rule them all » et comme mon père m’a transmis son problème avec l’autorité; c’est une posture que j’ai un peu de mal à entendre.

Mais bon, là, la réforme des retraites, concernent tout le monde. TOUT-le fucking-microcosme. Ah ben non en fait, car entre temps les personnes nées avant 1975 n’étaient plus concernées. Et alors depuis, il y a scission entre ceux qui se sont désolidarisés du mouvement et les autres.

Qu’on ne fasse pas grève parce que ça pose un problème financier ou même parce qu’on n’y croit plus, ça s’entend. Mais là, le risque il était de zéro. Qu’est-ce que le chef en a à faire qu’on rende les docs ou pas ? Rien. De toutes façons, il ne transmettra que ce qu’il veut.

Mais à ce moment, on est 60 profs et on parle d’une même voix. Et comme c’est beau et rare faut le porter haut. Du moins le fallait-il.

Parce qu’avec A., tous les vendredi on se retrouve devant notre plat de salés aux lentilles, sauf que A, dont la famille ne vit que sur son salaire en ce moment, avec tous les jours de grève, il n’y a plus de salé avec les lentilles.

Et même si finalement, la majorité a parlé et qu’aucune feuille n’a été rendue, ça laisse malgré tout un goût amer de lentilles qui auraient accroché au fond de la casserole cette histoire.

Ils m’ont dit

Aujourd’hui, ils m’ont dit:

« Mon cahier ? Non, je l’ai oublié je peux pas écrire… Mon carnet ? Mais… Mais… c’est pas mon cahier ça ? »

« Madame le prof d’SVT il est chelou, là ! Il nous a dit « se masturber c’est bien tout ça ! ça va pas de dire des trucs comme ça !

Ouai c’est vrai il a raison mais quand même c’est un prof, ça se fait pas !

Quoi ? Les filles aussi ??? »

« Madame je peux aller voir dans les autres classes qui a un mouchoir ? »

« Est-ce que si on regarde le film c’est bon ? »

« Moi, depuis que j’ai eu douze ans, je sens ma voix qui grossit, ça me fait grave plaisir. »

« Les maths c’est tarpain bien madame ! »

« J’ai obtenu l’éval de rattrapage, ouaiiii ! Je peux le dire à tout le monde ? »

« Non mais madame vous pouvez pas comprendre, se taper c’est un truc de jeune c’est drôle.

Noooon vous êtes pas vieille ! Mais vous pouvez pas comprendre. »