Quelle journée nous avons passé hier ! ça va les collègues, vous avez survécu ?
Si on rembobine un peu, nous sommes le jeudi 12 mars aux alentours de 20h15 et le président annonce à la surprise générale que tous les établissements scolaires vont être fermés à compter de lundi contrairement à ce que le ministre de l’EN disait le matin-même.
Puis une heure après, le ministre prend la parole de manière très démagogique rassurante, assurant sa confiance envers les professeurs et tous les personnels de l’EN (non mais lol. ça nous a fait le même effet que les remerciements de Macron aux soignants à qui on a coupé les vivres…) « Bien sûr nous sommes prêts. Les professeurs vont mettre en oeuvre la continuité pédagogique. »
-T’es prêt, toi ?
– Non, me répond-on de l’autre côté du canapé.
-Moi non plus.
Je ne suis peut-être pas très clair voyante mais la fermeture générale, je ne l’ai pas vu venir. Et puis, mes préparations de cours ne sont pas vraiment transmissibles. Demandez aux collègues qui veulent reprendre mes séquences. Le peu qui s’y sont risqués ont éclaté de rire en mode « tu veux que je fasse quoi avec ça? » Et après un exposé de 15 minutes « ahhhh! » Voilà, comment je fonctionne, je prépare… mais beaucoup dans ma tête… On n’a pas tous volé notre réputation de feignasse !
Bon alors j’ai commencé à hyper ventiler parce qu’il faut que je reprenne tous mes supports et que je parvienne à les transmettre aux gamins via les plateforme données, que je ne connais rien au bazar et vite donnez-moi un sac en papier j’ai plus d’air !
Après une courte nuit donc.
Vendredi, matin salle des profs. Six heures de cours en vue, on est tous azimutés et les théories les plus folles commencent à monter.
Toute la journée, il a fallu que nous expliquions à nos gamins ce qui allait se passer lundi alors que nous-mêmes n’avions aucune information.
Eux, ils étaient dans un état de nerf digne d’un jour du mois de juin. Ils avaient le sourire, c’est le moins qu’on puisse dire.
« Donc, les enfants, vous le savez, dès lundi, on va fonctionner autrement. Que les choses soient claires ce ne sont pas des vacances mais de cours hors les murs. On a du travail, je compte sur votre autonomie et votre motivation. Clairement, ce n’est pas plus facile, ça va être compliqué, pour vous et pour moi. Alors faut pas qu’on rate notre train. Dès lundi, au travail »
Ils étaient quand même très attentifs et assez conscients que ce n’est pas une situation normale et que se jouent dehors des choses de grandes personnes qui les dépassent. Je dois avouer que c’est un sentiment que je partage avec eux… Je pense que nos dirigeants vont payer cher le manque de confiance de leurs concitoyens et que l’appel à la solidarité et à l’union a du mal à passer.
Réunion d’urgence sur le midi-deux. Chef se veut rassurant, cheffe adjointe a des cernes comme jamais, notre collègue référent numérique envoyait des mails de tuto à 1h du matin… la nuit a été courte pour tout le monde visiblement.
« chers collègues, n’oublions pas que nous sommes des fonctionnaires et qu’à ce titre nous devons fonctionner conformément aux directives du rectorat. »
Il n’a pas tort, nous sommes bien fonctionnaires et ça veut dire « agent au service de l’Etat » donc mobilisables en cas de crise. C’est pas la manière la plus diplomate de commencer les choses mais…
« Vous n’êtes pas sans savoir que l’établissement ferme lundi mais c’est l’accès aux élèves qui est interdit pas aux personnels. Nous serons sur place tous les jours… »
Et là, ça a commencé à tiquer…
Deux poids deux mesures. Il va y avoir du temps de présence sur place, les réunions sont maintenues et toutes les commissions. Même les surveillants sont réquisitionnés. Il y a une disparité qui se crée entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas. Dans un climat trèèèèssss tendu de mobilisation, ne l’oublions pas, et le sentiment encore une fois de devoir faire du temps du présence pour faire du temps de présence parce que « ces feignasses de prof ils ont prévu de rien faire qu’à creuser leur piscine sales privilégiés. »
Je comprends tout le monde. Le chef qui est chef mais qui a plein de chefs au-dessus de lui. Les collègues énervés qu’on les prenne pour des buses et qui en ont assez d’être déshumanisés.
Pour ma part, assurer deux jours de permanence au collège chaque semaine ça ne me dérange pas, j’aurais l’impression même de garder un peu de stabilité dans cette situation trop floue. Et même si les temps de préparation et de correction vont être énormes en soi. Je me sens solidaires de mes collègues de la santé et leur conditions de travail sont 100 fois pires que les nôtres et ils sont sur le pied de guerre non stop. ça fait chier franchement parce qu’on pense aux élèves et eux pensent aux malades, que ce sont nous les humanistes, tandis qu’en haut on s’en met plein les fouilles en jouant sur la corde sensible. Je comprends la peur de mes collègues plus âgés, parents, ce climat commence à être irrespirable et même si la salle des profs gardait plutôt la tête froide, ça commence à inquiéter les plus sceptiques.
J’espère profondément qu’une fois la crise passée on pourra faire les vrais constats et modifier en profondeur notre société et notre façon de vivre. Que l’on ne va pas s’empresser d’oublier et se rappeler que l’éducation et la santé sont les deux piliers d’une société saine et forte.
En attendant, il a fallu leur dire au revoir à nos gamins pour une durée indéterminée. Et c’était beaucoup moins cool que les veille de vacances…
Eux, ils sont sortis en courant pour la plupart à 16h, d’autres plus lents, en soupirant.
« Booooonnnnneeeeee vaaaaacccccaaaannnncccceesssss maaaadddaaaammmmeee !
-Ce ne sont pas des vacances !!! »