Celle qui a fait sa première classe virtuelle

Moi (il y a deux semaines): il n’est pas encore né celui qui me fera me filmer devant les élèves.

Moi (hier): wahhhh c’est trop bien il y a Fiona et Rayan oh et Karim aussi !!!!

Quoi ?! Ça va ! Il y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

Il se trouve que j’ai ressenti comme un manque. Ca fait 12 jours que je n’ai crié sur personne, que je n’ai pas ramassé de carnet que je n’ai pas eu besoin de répéter 100 fois la même chose. J’ai rechuté.

On aurait dit un premier rendez vous. Je les ai bombardés de rappels toute la semaine « lundi on fait la classe virtuelle hein, hein, vous n’oubliez pas lundi c’est classe virtuelle. »

Je me suis connectée 15 min avant en stressant: »et s’ils ne viennent pas ? J’ai peut être pas assez prévenu. »

Puis ils étaient 20 sur 24. Ahhhh ! Mes 4e chéris ! Le manque je vous dis !

Alors ils avaient leur micro branché en même temps, on entendait les frères et soeurs crier, les mamans cuisiner, et c’était le bazar. Et ils ont dit des trucs comme « Madame c’est mieux les cours avec les profs! « 

Et c’était bon putain.

On recommence demain, je vous raconterai nos confidences.

#nationapprenante bilan 1

Première semaine de continuité pédagogique terminée et l’impression d’avoir couru partout les bras en l’air pendant une semaine.

Et vue les retours de collègues, je ne suis pas la seule.

Cela fait depuis samedi dernier que l’on travaille sur la fameuse continuité pédagogique et même ce néologisme me sort par les yeux. On dirait le jingle d’un paquet de lessive que l’on ressort à chaque page de pub.

Je n’ai pas envie de revenir sur la charge de travail qu’a représenté cette première semaine. On l’a vu défilé sur tous les réseaux sociaux.

tenor

J’ai plutôt envie de revenir sur les bonnes choses qui se sont produites cette semaine:

-j’ai un nouveau respect pour notre chef d’établissement, tout seul au collège depuis lundi,  avec qui on fait une classe virtuelle (et c’est lui qui joue le prof) trois fois par semaine pour faire le point. Chaque fois, la première chose qu’il demande c’est si on va bien et si on a du temps pour nos familles.

-j’ai eu des messages de parents adorables et tellement plein de gratitude face au travail qu’on fournit, à notre présence pour les élèves et à la difficulté de notre métier.

– tous mes collègues sont désormais sur Wattsapp et ils envoient des bêtises 60 fois par jour.

-entendre la sonnerie du collège à chaque télé-réunion rend en fait hyper nostalgique.

-découvrir que les élèves les plus timides n’hésitent pas à nous solliciter par mail et sont une aide précieuse pour les autres plus en retard.

-savoir qu’il suffit de passer le message à un élève pour que l’info passe au reste de la classe « parce qu’on a un snap de la classe Madame »

-savoir que certains de nos gamins languissent de retourner à l’école et aussi espérer qu’ils trouveront le goût d’apprendre sans note, sans évaluation, juste comme ça pour le plaisir. Et si apprendre n’était plus synonyme de travailler ?

-espérer que la prise de conscience de la société sur nos difficultés s’inscrira dans la durée, que les gens réalisent que c’est un métier duquel on ne décroche jamais, même quand on n’est pas en classe et que faire la classe c’est du sport, et peut-être même qu’on  arrêtera de nous parler de nos vacances.

Lundi matin, j’anime ma première classe virtuelle. Je vais reprendre figure humaine pour la peine ! A lundi !

 

 

où ils ont massacré Molière

Avant que l’on soit interrompus dans nos activités, mes élèves de 6e essayaient d’apprendre un passage du Médecin Malgré lui pour le jouer fin mars devant toute la classe.

Séance 1:

Je sélectionne les passages et je propose qu’on les lise ensemble pour qu’ils se familiarisent et qu’ils puissent faire leur choix.

-Qui veut faire Sganarelle ? Qui fait Martine ? Super, tous les deux au tableau, prenez votre livre. Ce sera comme une répétition pour les gestes.

Je pense choisir deux pas trop mauvais lecteurs, histoire que tout le monde les entende bien.

Mini Sganarelle se lance:

-Et – vouszètes – un -im-per-ti-ne(nt) – 2 – vous- in-gé-rer- des affaires aux truies.

Huh.

Vous imaginez le gosse du voisin qui apprend à jouer du violon ?

ça grince.

A Martine d’enchaîner.

-Martine ? C’est à toi !

-Hein ! Ah oui ! « Oui, a-près-ma-voir-ainsi-ba-ttue.

Trois passages comme ça deux binômes différents à chaque fois. Du sang coulait de mes oreilles. Molière lui-même est descendu sur terre pour nous implorer d’arrêter cela, hurlant qu’il avait assez payé à l’époque pour ses scandales et qu’il méritait la paix ! On a déclaré forfait pour les autres extraits, j’ai passé la captation.

Mais il fallait quand même qu’ils récitent ! Et ils n’arrivent même pas à le lire ! Hiiii. Mais comment on va faire ?

Séance 2:

Ne me demandez pas comment mais ils ont effectivement choisi l’extrait qu’ils veulent jouer.

-Bon, vous vous mettez en binôme, et vous lisez, lisez, lisez. Et quand vous avez bien lu. Vous lisez encore. Et ensuite vous venez me le lire à mon bureau. D’accord ?

-Oui Madame.

Ils sont choux quand même. Une cacophonie ! C’était plus Molière mais Beckett tant ça n’avait ni queue ni tête. Mais il fallait les voir, se donner des faux coups de bâtons, bouger les tables pour faire le docteur et le patient. A écouter c’était horrible, a voir, merveilleux.

Mes 6e, il n’y a rien à faire, c’est du bonbon.

On s’est quand même payé un petit fou rire au moment de l’explication de la scène 4 de l’acte II:

SGANARELLE.- C’est fort bien fait. Va-t-elle où vous savez ?

GÉRONTE.- Oui.

SGANARELLE.- Copieusement ?

GÉRONTE.- Je n’entends rien à cela.

SGANARELLE.- La matière est-elle louable  ?

GÉRONTE.- Je ne me connais pas à ces choses.

-Qu’est-ce que peut bien demander un médecin quand il demande si le malade « va où vous savez »?

– Ben, aux toilettes… tente timidement I du fond de la classe

-Ouiiii exactement !

-Mais copieusement, ça veut dire quoi Madame ?

-Beaucoup.

-Bahhhhhhh. Dégueu Molière !

-Non scatologique.

-Il y a un mot pour ça ?

-Ah ben oui, vous croyez quoi ? Pipi-caca, ça fait rire tout le monde ! Il fallait bien un mot pour ça.

 

la continuité pédagogique

mail élèvesQuelle journée nous avons passé hier ! ça va les collègues, vous avez survécu ?

Si on rembobine un peu, nous sommes le jeudi 12 mars aux alentours de 20h15 et le président annonce à la surprise générale que tous les établissements scolaires vont être fermés à compter de lundi contrairement à ce que le ministre de l’EN disait le matin-même.

Puis une heure après, le ministre prend la parole de manière très démagogique rassurante, assurant sa confiance envers les professeurs et tous les personnels de l’EN (non mais lol. ça nous a fait le même effet que les remerciements de Macron aux soignants à qui on a coupé les vivres…) « Bien sûr nous sommes prêts. Les professeurs vont mettre en oeuvre la continuité pédagogique. »

-T’es prêt, toi ?

– Non, me répond-on de l’autre côté du canapé.

-Moi non plus.

Je ne suis peut-être pas très clair voyante mais la fermeture générale, je ne l’ai pas vu venir. Et puis, mes préparations de cours ne sont pas vraiment transmissibles. Demandez aux collègues qui veulent reprendre mes séquences. Le peu qui s’y sont risqués ont éclaté de rire en mode « tu veux que je fasse quoi avec ça? » Et après un exposé de 15 minutes « ahhhh! » Voilà, comment je fonctionne, je prépare… mais beaucoup dans ma tête… On n’a pas tous volé notre réputation de feignasse !

Bon alors j’ai commencé à hyper ventiler parce qu’il faut que je reprenne tous mes supports et que je parvienne à les transmettre aux gamins via les plateforme données, que je ne connais rien au bazar et vite donnez-moi un sac en papier j’ai plus d’air !

Après une courte nuit donc.

Vendredi, matin salle des profs. Six heures de cours en vue, on est tous azimutés et les théories les plus folles commencent à monter.

Toute la journée, il a fallu que nous expliquions à nos gamins ce qui allait se passer lundi alors que nous-mêmes n’avions aucune information.

Eux, ils étaient dans un état de nerf digne d’un jour du mois de juin. Ils avaient le sourire, c’est le moins qu’on puisse dire.

« Donc, les enfants, vous le savez, dès lundi, on va fonctionner autrement. Que les choses soient claires ce ne sont pas des vacances mais de cours hors les murs. On a du travail, je compte sur votre autonomie et votre motivation. Clairement, ce n’est pas plus facile, ça va être compliqué, pour vous et pour moi. Alors faut pas qu’on rate notre train. Dès lundi, au travail »

Ils étaient quand même très attentifs et assez conscients que ce n’est pas une situation normale et que se jouent dehors des choses de grandes personnes qui les dépassent. Je dois avouer que c’est un sentiment que je partage avec eux… Je pense que nos dirigeants vont payer cher le manque de confiance de leurs concitoyens et que l’appel à la solidarité et à l’union a du mal à passer.

Réunion d’urgence sur le midi-deux. Chef se veut rassurant, cheffe adjointe a des cernes comme jamais, notre collègue référent numérique envoyait des mails de tuto à 1h du matin… la nuit a été courte pour tout le monde visiblement.

« chers collègues, n’oublions pas que nous sommes des fonctionnaires et qu’à ce titre nous devons fonctionner conformément aux directives du rectorat. »

Il n’a pas tort, nous sommes bien fonctionnaires et ça veut dire « agent au service de l’Etat » donc mobilisables en cas de crise. C’est pas la manière la plus diplomate de commencer les choses mais…

« Vous n’êtes pas sans savoir que l’établissement ferme lundi mais c’est l’accès aux élèves qui est interdit pas aux personnels. Nous serons sur place tous les jours… »

Et là, ça a commencé à tiquer…

Deux poids deux mesures. Il va y avoir du temps de présence sur place, les réunions sont maintenues et toutes les commissions. Même les surveillants sont réquisitionnés. Il y a une disparité qui se crée entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n’en ont pas. Dans un climat trèèèèssss tendu de mobilisation, ne l’oublions pas, et le sentiment encore une fois de devoir faire du temps du présence pour faire du temps de présence parce que « ces feignasses de prof ils ont prévu de rien faire qu’à creuser leur piscine sales privilégiés. »

Je comprends tout le monde. Le chef qui est chef mais qui a plein de chefs au-dessus de lui. Les collègues énervés qu’on les prenne pour des buses et qui en ont assez d’être déshumanisés.

Pour ma part, assurer deux jours de permanence au collège chaque semaine ça ne me dérange pas, j’aurais l’impression même de garder un peu de stabilité dans cette situation trop floue. Et même si les temps de préparation et de correction vont être énormes en soi.  Je me sens solidaires de mes collègues de la santé et leur conditions de travail sont 100 fois pires que les nôtres et ils sont sur le pied de guerre non stop. ça fait chier franchement parce qu’on pense aux élèves et eux pensent aux malades, que ce sont nous les humanistes, tandis qu’en haut on s’en met plein les fouilles en jouant sur la corde sensible. Je comprends la peur de mes collègues plus âgés, parents, ce climat commence à être irrespirable et même si la salle des profs gardait plutôt la tête froide, ça commence à inquiéter les plus sceptiques.

J’espère profondément qu’une fois la crise passée on pourra faire les vrais constats et modifier en profondeur notre société et notre façon de vivre. Que l’on ne va pas s’empresser d’oublier et se rappeler que l’éducation et la santé sont les deux piliers d’une société saine et forte.

En attendant, il a fallu leur dire au revoir à nos gamins pour une durée indéterminée. Et c’était beaucoup moins cool que les veille de vacances…

Eux, ils sont sortis en courant pour la plupart à 16h, d’autres plus lents, en soupirant.

« Booooonnnnneeeeee vaaaaacccccaaaannnncccceesssss maaaadddaaaammmmeee !

-Ce ne sont pas des vacances !!! »