Où ils ont des choses à dire

Aujourd’hui je laisse la parole à un de mes 3e qui a écrit en une demi heure ce texte, à l’issu d’un travail sur l’argumentation.

Le sujet était : rédiger un court discours à propos d’une cause qui vous tient à cœur.

Je n’en ai pas modifié une virgule.

« Il est vrai que l’homosexualité est de plus en plus acceptée à notre époque, mais elle devrait l’être totalement.

Le mariage pour tous, ouvert aux homosexuels, est un évènement marquant de notre génération. Malgré cela, l’homophobie existe toujours. Nous sommes sensés être la génération qui se bat pour l’écologie, véritable fléau mondial, mais nous en sommes encore à devoir faire accepter des évidences comme la lutte contre le racisme, l’homophobie ou même le féminisme. Ceci reste un enjeu majeur de notre société.

Un mariage entre deux hommes ou deux femmes, est seulement l’union de deux personnes qui s’aiment. un mariage homosexuel, devrait être accepté comme un mariage dit « normal », et non pas comme un acte dégoûtant ou répugnant.

Le mariage entre deux personnes du même sexe, est accepté par la loi depuis 2012, il n’y a donc aucun débat à avoir sur, si le mariage homosexuel a lieu d’être, ou non. Les français en particulier, ont un don pour se révolter, et contredire les règles fixées. Parfois, cette révolte dans nos gène, peut être utile, comme pour les droits des travailleurs, la révolution qui a créée la première république, mais dans des sujets comme l’identité sexuelle, il ne devrait pas y avoir de débat. »

Arthur a lu le texte à voix haute devant toute la classe et a été applaudi.

Il se pourrait bien que ce soit eux qui sauvent le monde finalement.

Où ils brillent dans le noir

Depuis la rentrée, un drôle de phénomène sévit sur la tête des élèves.

Ca a commencé par deux petites lignes à l’avant du crâne, puis quelques touches sur le sommet, aujourd’hui mes élèves brillent dans le noir.

La mode et les adolescents.

Ils sont si drôles avec leur décolo maison. Le deuxième confinement et la fermeture des coiffeurs leur a insufflé un besoin de créativité capillaire qu’ils expriment hardiment: les voilà décolorés à l’eau oxygénée de manière artisanale et quelque peu sauvage.

Les filles, les garçons: voilà bien une tendance unisexe qui a le mérite de leur donner sujet à se dire des douceurs:

« Wahhh trop beau Nabil ta décolo !

-Ouais tu trouves ? Je me suis fait poser le truc deux fois, ça brûlait un peu mais ça valait le coup.

-Claaaassse. »

Ils sont si drôles !

Vous savez ce que ça donne une décoloration sur une base brun foncé ? Le travail que ça demande et le nombre de décolorations pour obtenir un vague blond ? Clairement pas deux fois 5 min à l’eau oxygénée la tête au dessus de la baignoire.

Mes petits moutons noirs, qui brûlaient déjà leur magnifique crinière avec leur « déf » (défrisage). Ahhh ils sont fauves, oui. La couleur, en revanche.

Au bout de 24 heures le truc vire déjà à l’orange, à la fin de la semaine ils ont fait le plein de vitamine C pour l’hiver.

Et me voilà à la porte de la classe, laissant passer Nabil, fier comme Artaban avec sa nouvelle coiffure solaire, en train de lui demander si à tout hasard il avait un shampooing violet pour neutraliser un minimum le jaune !

« Vous inquiétez pas Madame, j’ai tout ce qu’il faut. Au pire je repasse un coup au dessus du lavabo il m’en reste.

-Des produits, oui. mais des cheveux ? »

Parfois, ils se trompent de bataille:

« Ouais Madame, la police devant le collège tous les jours, là! Ils me fixent trop bizarrement. C’est quoi ce harcèlement ?

-As-tu vu tes cheveux Riad ? ça captive quand même.

-Ouais, ils sont jaloux quoi !

-Voilà. »

Je me moque mais je ne les juge pas. Le nombre d’année qu’il m’a fallu pour apprivoiser et apprécier mes boucles est incalculable. J’ai été blonde brûlée par un balayage, rousse auburn, brune foncé; on s’appliquait des mascaras à l’odeur immonde pour se faire des mèches bleus ou roses avec ma sœur et ma cousine; mes cheveux ont été longs, très longs, puis court. Lisses, bouclés et même lissés et rebouclés artificiellement !

Il faut bien que jeunesse se passe.

En attendant, il brillent dans le noir, ils sont contents et par les temps qui courent leur sourire et leur mine ravie réchauffent les cœurs dans le froid de cet interminable automne.

Où ils ont regardé un Truffaut

« Non mais Madame vous allez encore nous montrer un truc qui date de mille ans, là ?

Le Dernier Métro date de 1980, vous n’étiez pas nés, certes, ça n’en fait pas un fossile du cinéma pour autant.

-Vous non plus vous n’étiez pas née, Madame…

-Vous me connaissez vous savez que je n’ai que très peu d’intérêt pour les vivants. »

C’est comme ça qu’ils se sont retrouvés à devoir analyser les techniques cinématographiques employées par François Truffaut dans son chef d’œuvre. C’était savoureux de les voir se prendre au jeu.

Première scène : Bernard Granger (Gérard Depardieu) drague lourdement une passante dans la rue et lui sort toutes les répliques du lover du dimanche.

« Wahhh le forceur ! Allez laisse-la tranquille !

-Non mais le gars, jamais il s’arrête.

[et quand il se fait recadrer]

« Pow pow pow ce qu’elle lui a mis ! »

L’arrivée au théâtre

-Regardez, regardez, regardez !

-Euh Madame, il marche dans une ruelle. Y’a rien à voir…

-Mais faites attention au mouvement de la caméra !

-Ah ouais ! elle recule alors qu’il avance !

-C’est ça le traveling arrière ? Classe…

Les plans fixes sur Catherine Deneuve

-C’est qui cette actrice, Madame ?

-Catherine Deneuve.

-Elle est morte ?

-Mais non enfin ! Elle est sublime, vous ne trouvez pas ?

-Ouais, franchement ça va. Elle est jolie.

-Regardez comment elle est filmée. Le maquillage est très poudré pour lui donner un aspect de porcelaine, elle ne bouge pas, elle a les traits d’une extrême finesse. A elle-seule c’est une œuvre d’art. On dirait qu’il n’y a pas que Lukas qui est tombé amoureux d’elle.

-Pourquoi vous dites ça ?

-Je ne sais pas, mais pour mettre en valeur un visage ainsi… il y a quelque chose de poétique, ce n’est pas juste esthétique. Bien sûr elle est renommée pour sa beauté mais là, il y a de la grâce qui s’en émane.

La fouille de la cave

Le souffle coupé, pas un bruit dans la salle. Si l’un d’eux avait fait tomber un stylo, je crois qu’ils auraient sursauté.

Une des scènes d’amour entre Marion et Lukas

Marion et Lukas sont allongés sur le lit, ils sont habillés. Lui, porte une chemise et un pantalon; elle, une blouse rentrée dans une jupe fourreau habilement fendue. Elle porte des bas dont la jarretière est légèrement dévoilée par le doigt qui remonte délicatement le long de la jambe. La caméra suit le mouvement, il n’y a que les jambes de Marion dans le champ.

« Ahhhhhh mes yeux ! mes yeux !

-C’est dégueulasse ! Ahhhhhh !

-Arrêtez ! vous êtes des gamins, ouech !

-Oulalala ils ont vu un bisou ils vont pas s’en remettre. »

Certains ne s’en sont vraiment pas remis. Il a fallu mettre le film en pause.

-Vous êtes sérieux les enfants, là ? Cette scène vous choque ? Ils sont habillés . Ils sont mariés en plus ! (si tant est que ce soit un argument…)

J’admets qu’en ces temps de laïcité baffouillante, j’ai un peu mal pris la réaction de certains d’entre eux. On aurait dit que je leur avais montré un film porno ! Et puis à la réflexion, c’est vrai qu’elle est d’une extrême sensualité cette scène et qu’il n’y avait pas besoin de nudité pour en suggérer l’érotisme. Chapeau l’artiste quand même. Quarante plus tard, mes ados sont plus secoués par cette scène que par tous les corps exhibés de toutes les séries d’aujourd’hui.

Bon pour les curieux qui, comme diraient mes élèves « veulent voir Gérard Depardieu pas gros », il est disponible sur Netflix.

Savez-vous que certains sont sortis de la salle en chantonnant Mon amant de Saint Jean ?

Et le mot de la fin pour Nabil « C’est bien franchement. C’est pas Fast et Furious mais ça passe bien, vous avez bon goût. »

entendu cette semaine

« Oh Madame ! Vous me manquez trop cette année !

-N’exagérons rien, tu venais un jour par mois l’année dernière Kilian… ! »

Maya : Harvard c’est aux Etats-Unis ? Ok, moi je vais à Harvard !

Alina : t’as raison ! Continue de dormir en classe, y’a que dans tes rêves que tu iras à Harvard !

« Madame, vous répondez toujours à nos questions. Vous savez tout ?

-Sans vouloir vous spoiler, un jour arrivera où je n’aurai pas la réponse. »

« Madame, Simone Veil, elle voulait travailler, son mari il voulait pas mais en vrai il avait les moyens. Alors pourquoi faire ?

– Et bien, parce qu’elle aime son métier, parce que comme ça elle ne dépend pas de lui, parce qu’elle a fait des études pour…

-Ah ouais, mais si elle voulait rester élever ses enfants ?

-La réponse est dans la question. Tant que c’est son choix et pas celui qu’on lui impose, c’est tout ce qui compte. »

« On m’a dit que votre attitude pendant l’hommage à Samuel Paty avait été plus que limite. Je ne vous cache ma déception, d’autant que quand on m’a demandé si la classe allait poser problème, j’ai crié haut et fort, qu’avec vous il n’y avait aucun risque.

-Mais Madame, c’est pas ça mais la prof d’histoire nous a demandé si on était concerné par ce qui était arrivé. Ben on n’est pas concerné, donc on a rien dit.

-Et si c’était ma tête qu’on avait coupé et filmé sur internet. Vous seriez concernés ou là aussi c’est pas vos affaires ?

-Ben si quand même Madame !

-Et donc, on ne peut pas être solidaires de ces élèves privés de leur professeurs aujourd’hui ? De cette famille privée de père et de mari ? De ces professeurs sans collègue ?

-… »