Brèves en vrac (lues et entendues)

« Quelle est à votre avis la leçon que nous apprend Cendrillon ?

– Qu’il ne faut pas rester dehors tard le soir ! »

« Mon voisin, il peint des tableaux comme Mozart ! »

Lu dans une copie de 3e « Être contre l’homosexualité c’est être contre l’amour. Si tu es contre l’amour cela revient à être en guerre contre la paix. »

Dans le couloir, Amir me demande:

-ça va aujourd’hui, Madame ?

-Et bien oui, pourquoi ?

-Hier, vous étiez énervée, on l’a bien vu que ça allait pas. On vous a même pas entendu rire. »

« Tout passe. Reste juste la trace. Ce n’est pas de la sagesse c’est cette forme de résignation qui nous sauve la vie. »

« Wow ! Ziyad, c’est quoi cette façon de passer la porte sans dire bonjour ?

-Lui parlez pas Madame il s’est trop énervé contre le prof d’histoire. Il lui a confisqué son bonnet…

-On ne porte pas de bonnet dans les couloirs. ça ne vient pas de sortir à ce que je sache.

-C’est pas un bonnet mais un tour de cou !

-Que tu portes sur la tête.

-… »

« Le destin a une main mais n’est pas la main. » (Patti Smith, Devotion)

En conseil de classe:

« Sa situation familiale est plus que compliquée. Sa mère a quitté la maison avec les trois garçons. Ils vivent à l’hôtel social. J’ai des scrupules à proposer une mise en garde.

-Oui, enfin, 80% de nos élèves ont des situations compliquées. ça ne peut pas devenir un critère !

-… »

Où on parle tabou

Toujours dans la lancée de notre période sur l’engagement, les 3e ont dû composer un discours à propos d’une cause qui leur tient à cœur. Les choix étaient ouverts tous azimuts (féminisme, sexisme, racisme, écologie, homophobie,…).

« Ce ne sont pas les fléaux qui manquent en 2020. Alors à vous d’écrire sur quelque chose qui mériterait d’être changé. »

Ils s’y attellent plutôt studieusement, levant le doigt de temps en temps pour demander une orthographe. «Sexisme ça prend bien un y? »

Je vois mon solaire Nabil (celui qui s’est fait décolorer) un peu embêté. C’est vrai que c’est le deuxième texte engagé qu’ils doivent composer et sa muse semble partie en vacances avant lui.

De mon bureau, je le vois la tête entre ses mains.

-Qu’est-ce qui t’arrive ?

-Je sais plus quoi écrire, moi… j’ai tout donné sur le premier ! Vous pouvez pas me donner une cause à défendre ?

Ils savent qu’il ne faut pas me tendre des perches comme ça… ils cherchent aussi !

-Tu n’as qu’à écrire sur la gratuité des protections hygiéniques. Il y a un projet de loi sur le sujet qui a du mal à passer.

Se retournant vers son voisin Zyad:

-Les quoi ?

Les filles du premier rang éclatent de rire. Bon, il va falloir expliquer maintenant. C’est bien joli de faire de l’esprit…

-Bon Nabil, je ne t’apprends pas que depuis la nuit des temps les filles ont leurs règles. Les protections hygiéniques c’est ce qu’on utilise à ce moment du mois.

-et pourquoi ça devrait être gratuit ?

-Parce que ça coûte cher figure toi et que beaucoup de femmes dans la précarité ou dans la rue ont du mal à s’en procurer. Il y a un projet de loi qui a pour but de les rembourser.

Mon Nabil rosit comme une pivoine au printemps. Il respire un grand coup et demande.

-et pourquoi elle passe pas cette loi ?

-parce que c’est encore un tabou, que les représentants du peuple sont en majorité des hommes et que ce n’est pas vraiment un problème auquel ils sont confrontés.

Après une longue minute de silence où je m’attends à ce que finalement il botte en touche:

-bon, euh ok, je vais le faire. J’vais écrire là-dessus.

C’est eux qui me scotchent chaque fois. Ils n’ont peur de rien.

En passant dans les rangs, Zyad me tire discrètement par la manche:

-Madame, avec Nabil on n’est pas d’accords. On peut tout vous demander, hein ? Même si c’est bête?

-Je réponds à tout tant que j’ai la réponse, alors vas-y.

-N’est-ce pas que les filles elles ont leurs règles au début et après quand elles sont plus vierges c’est fini ?

Et oui… on en est là… ils ont dû se boucher les yeux et les oreilles durant leurs cours de SVT l’année dernière ou bien celui-ci, tombé pendant le confinement, aura été allègrement sauté. Me voilà donc en train d’expliquer la différence entre fécondité et sexualité, de la puberté à la ménopause.

-Mais nous, les garçons, on peut faire des enfants jusqu’à quel âge ?

-Techniquement, toute votre vie.

-Mais c’est dégueulasse ! pourquoi c’est injuste comme ça ?

-Disons que quand une femme veut faire un enfant, elle a besoin de chaque cellule de son corps. Il faut que tout soit encore en bon état pour pouvoir donner la vie. Alors que vous, ça ne concerne qu’un microscopique pourcentage de votre biologie.

-Ah ouais ok.

Sinon, on lit des livres aussi, je vous rassure. Mais bon, si des gosses de quartier se mettent à défendre la loi Tampax, les poètes ne m’en voudront pas du retard qu’on prend.

« ils m’ont laissé comme ça »

Dernier jour avant les vacances, il y a une liesse et une excitation que l’on ne sentait plus ces derniers temps. Les classes sont allégées par les dernières lubies ministérielles, il y a des bonnets rouges sur les têtes et des boîtes de chocolats vont de mains hydro-alcoolisées en bouches masquées.

C’est la récréation, je suis dans ma salle en train de ranger l’armoire.

« Madame ? Je voulais savoir si la CPE vous avait vu…

-Non, pourquoi ? Tu as fait une bêtise ?

-Moi non. C’est mes parents… Je suis en foyer depuis hier soir. Bon, ça sonne je vais en cours. »

Je suis la prof principale de ce garçon de 14 ans pour la deuxième année. Il a confiance en moi. Je le sais. Le genre de confiance que tous mes élèves ne m’accordent pas. Et là, il est resté très évasif sur un truc majeur dans sa vie, alors qu’il est capable de m’écrire sur l’ENT qu’il est amoureux d’une fille et qu’il ne sait pas comment faire.

Il a l’air de bien aller et de tenir le choc.

Je le retrouve en atelier éloquence sur le midi-deux. Ce n’est pas un atelier dans lequel il est à l’aise, il est plus en retrait que les autres malgré sa nature expansive et volubile. Mais aujourd’hui il est éteint. L’exercice du jour est un travail sur l’émotion. Quatre chaises sont disposées devant le tableau, sur chacune d’elle une étiquette avec le nom d’une émotion. On choisit une chaise au hasard et on doit faire passer son texte avec l’émotion qui y est inscrite, même si le texte ne s’y prête pas du tout.

A. est tombé sur « triste ». Je peux vous dire que son récit de la course poursuite entre Hulk et la police américaine vous aurait fait un nœud à l’estomac.

14 heures: français avec lui. la classe est en demi groupe. Tous sont occupés sur leur plan de travail. Je vais m’asseoir à côté de lui.

-Tu me racontes ?

-J’ai pas envie d’en parler y’a rien à dire.

-Comment tu te sens ?

-ça va.

-Tu as bien dormi là bas ?

-Oui, j’ai retrouvé des collègues, les éducateurs sont gentils.

-Il s’est passé un truc dans le quartier ?

-Non c’est pas ça. C’est mes parents. Ils m’ont emmené au foyer.

-Ils étaient en colère ?

-Mon père, il a répété des choses. Je m’en fous. ça n’existe plus, j’y retournerai plus jamais.

-Attends, tu es en colère. Je le comprends, il faut du temps.

-Non, non. Il est allé trop loin cette fois. Ce qu’ils ont fait…

-Ils ont fait quoi?

-Ils ont pris mes affaires, ils m’ont déposé devant le foyer et ils sont partis. »

Il m’a ensuite raconté ce qui s’était passé avec son père. Son récit, d’une grande violence, est raconté d’une voix blanche, comme si lui-même n’avait pas vécu ce qui s’était passé.

« J’entends tout ce que tu me dis. C’est horrible. Il va falloir du temps pour réparer…

-Ils m’ont laissé tout seul devant, Madame, et ils sont partis. Ils m’ont laissé là-bas. »

Je sais, mon grand, je sais.

Et cette distance respectueuse qui nous oblige à rester à côté l’un de l’autre parce que je suis son professeur et lui mon élève.

Je lui ai laissé mon numéro de téléphone.

« Tu ne le donnes à personne, n’est-ce pas ? S’il y a quoi que ce soit. Tu écris ou tu appelles.

-Promis. Merci, Madame »

Et ce « Madame » qui fend mon cœur de mère.

Où ils ont besoin d’amour (comme Lorie)

Sorti de nulle part, ce matin en pleine séance sur la phrase complexe:

« Non mais madame on sait qu’on est votre classe préférée. Les autres 3e nous ont dit que vous parliez de nous touuuut le temps. »

L’arrogance de ceux qui se savent aimés !

« Oula vu le bruit et le peu de concentration ce matin … je ne sais pas si notre histoire va durer !

-hein quoi ! Mais comment ça ?! L’amour c’est pour la vie Madame !

– c’est vous qui dites ça ? vous aimez et désaimez en moins de temps qu’il n’ en faut à Maître Gims pour massacrer la chanson française. l’amour, les enfants, ça s’entretient, ça se soigne, ça se gâte sinon ça se fane et ça se perd.

-mouais… nan. J’pense que vous nous aimerez même si on fait du bruit.Peut être même si on n’aime pas Camus.

-aller ça suffit les bêtises. Reprenez les exercices. »

Puis F., dont je reparlerai tant ce gosse me bouleverse, me chuchote:

« Vous, Madame, je pense que vous aimez pour toujours.

-Travaille. Pour l’heure, tout va bien, je vous aime encore. »