Où on parle tabou

Toujours dans la lancée de notre période sur l’engagement, les 3e ont dû composer un discours à propos d’une cause qui leur tient à cœur. Les choix étaient ouverts tous azimuts (féminisme, sexisme, racisme, écologie, homophobie,…).

« Ce ne sont pas les fléaux qui manquent en 2020. Alors à vous d’écrire sur quelque chose qui mériterait d’être changé. »

Ils s’y attellent plutôt studieusement, levant le doigt de temps en temps pour demander une orthographe. «Sexisme ça prend bien un y? »

Je vois mon solaire Nabil (celui qui s’est fait décolorer) un peu embêté. C’est vrai que c’est le deuxième texte engagé qu’ils doivent composer et sa muse semble partie en vacances avant lui.

De mon bureau, je le vois la tête entre ses mains.

-Qu’est-ce qui t’arrive ?

-Je sais plus quoi écrire, moi… j’ai tout donné sur le premier ! Vous pouvez pas me donner une cause à défendre ?

Ils savent qu’il ne faut pas me tendre des perches comme ça… ils cherchent aussi !

-Tu n’as qu’à écrire sur la gratuité des protections hygiéniques. Il y a un projet de loi sur le sujet qui a du mal à passer.

Se retournant vers son voisin Zyad:

-Les quoi ?

Les filles du premier rang éclatent de rire. Bon, il va falloir expliquer maintenant. C’est bien joli de faire de l’esprit…

-Bon Nabil, je ne t’apprends pas que depuis la nuit des temps les filles ont leurs règles. Les protections hygiéniques c’est ce qu’on utilise à ce moment du mois.

-et pourquoi ça devrait être gratuit ?

-Parce que ça coûte cher figure toi et que beaucoup de femmes dans la précarité ou dans la rue ont du mal à s’en procurer. Il y a un projet de loi qui a pour but de les rembourser.

Mon Nabil rosit comme une pivoine au printemps. Il respire un grand coup et demande.

-et pourquoi elle passe pas cette loi ?

-parce que c’est encore un tabou, que les représentants du peuple sont en majorité des hommes et que ce n’est pas vraiment un problème auquel ils sont confrontés.

Après une longue minute de silence où je m’attends à ce que finalement il botte en touche:

-bon, euh ok, je vais le faire. J’vais écrire là-dessus.

C’est eux qui me scotchent chaque fois. Ils n’ont peur de rien.

En passant dans les rangs, Zyad me tire discrètement par la manche:

-Madame, avec Nabil on n’est pas d’accords. On peut tout vous demander, hein ? Même si c’est bête?

-Je réponds à tout tant que j’ai la réponse, alors vas-y.

-N’est-ce pas que les filles elles ont leurs règles au début et après quand elles sont plus vierges c’est fini ?

Et oui… on en est là… ils ont dû se boucher les yeux et les oreilles durant leurs cours de SVT l’année dernière ou bien celui-ci, tombé pendant le confinement, aura été allègrement sauté. Me voilà donc en train d’expliquer la différence entre fécondité et sexualité, de la puberté à la ménopause.

-Mais nous, les garçons, on peut faire des enfants jusqu’à quel âge ?

-Techniquement, toute votre vie.

-Mais c’est dégueulasse ! pourquoi c’est injuste comme ça ?

-Disons que quand une femme veut faire un enfant, elle a besoin de chaque cellule de son corps. Il faut que tout soit encore en bon état pour pouvoir donner la vie. Alors que vous, ça ne concerne qu’un microscopique pourcentage de votre biologie.

-Ah ouais ok.

Sinon, on lit des livres aussi, je vous rassure. Mais bon, si des gosses de quartier se mettent à défendre la loi Tampax, les poètes ne m’en voudront pas du retard qu’on prend.

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