Où ils parlent d’amour

Le printemps ramène avec lui l’odeur des champs et du chèvrefeuille; le mistral aidant le parfum arrive à pénétrer le quartier où même le goudron se tapisse de fleurs d’amandier.
Les voilà qui papillonnent, retirent les couches de vêtements, rient bêtement; et ce spectacle est ravissant.

J’adore les regarder et en ce moment ils semblent bien haut perchés sur la lune.

Des prénoms se trouvent inscrits en gros et au blanco sur les trousses ou le dos de la main.

On se touche du bout des doigts dans les couloirs.

On tarde à retrouver le rang de sa classe et à laisser pour une heure l’élu de son cœur.

Les têtes rêvent à la fenêtre.

Certains laissent même traîner des poèmes « si tu veux savoir combien je t’aime, tu n’as qu’à compter les étoiles. Tu n’y arriveras pas, voilà, je t’aime comme ça. »


Le couvre-feu rallongé d’une heure semble leur avoir donné des ailes. Vendredi, ils sont partis avec un sourire éclatant.

On en serait presque jaloux de leur légèreté.

L’amour a aussi sa part d’ombre et on retrouve toujours l’air mélancolique du poète qui reste « le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin », qui attend…

Il suffirait pourtant d’un pas.

Dans les couloirs, les garçons tentent de comprendre les filles. C’est une énigme plus difficile à déchiffrer que les théorèmes de Pythagore.  

« Mais tu l’aimes, genre ?

-Bah, chais pas…

-On t’a vu lui porter son sac…

-Ouais ben il était lourd aussi! »


C’est le temps des promesses, des journées qui se rallongent, de l’espoir qui renaît.

Nabil, toujours curieux, toujours à traîner dans ma salle quelle que soit l’heure de la journée:
-Je vois que tu savoures l’annulation du cours de jeudi soir.
-Ben oui Madame, vous vexez pas mais si vous finissiez touuuussss les jeudi à 17h35, vous seriez contente de finir plus tôt juste une fois.
-Tu as raison, en effet.
-Dites, Madame, vous faites quoi les weekend, vous ?
-La même chose que tous les gens: mes courses, me promener, me reposer.
-Vous allez vous promener avec votre fils dans Montpellier ?
-Souvent, oui. Maintenant que c’est le printemps…samedi, on ira sans doute voir les canards au bord du Lez. »


« Comment tu sais que tu l’aimes ?

-Je lui tiens la main alors que je n’ai pas peur de tomber. » Orelsan, Bloqués épisode 10

Entendu cette semaine #6

« Madaaaammeee !!!! J’ai mis le nom avant le prénom sur la copie c’est grave ?

-je vais m’en sortir. »


« On peut prendre « pas les bijoux » pour l’oral ?

-C’est quoi ça « pas les bijoux? »

Et toute la classe en choeur avec l’accent polonais

-PAS. LES. BIJOUX !

-3 heures d’analyse filmique sur Le dernier métro, il vous reste une réplique ! »


« Madame, c’est quoi un abbé ? 

-Un curé.

-… c’est quoi un curé ? 

-Un imam chrétien.

-Ahhhh ok. »


« Moi, Madame je me spécialise en dictée de mots parce que je suis un dictateur. Je dicte les mots à toute la classe ! (…) Arrêtez de rire Madame ! Vous ne me prenez jamais au sérieux ! »


« Euh quand il faut mettre en soutenu « les bleds alentours »… C’est le vrai bled ?  Parce que je connais pas de mot soutenu pour ça. »


« On m’a dit que tu traînais encore dehors. Tu m’avais promis pourtant. Je vois à ton regard baissé qu’on ne m’a pas menti. Bah oui… je pose des questions, je m’intéresse ne crois pas. Et je répète à qui veut l’entendre que tu es spécial, que tu n’es pas comme les autres. Tu sais comme certains sont contents que je me sois trompée ? Avec leur sourire de côté qui crache « tu vois, personne ne change, personne ne vaut cette peine »… Ils ont raison ? J’ai tort de croire encore en toi ? Tu serais surpris de savoir que d’autres pensent comme moi, espèrent comme moi. Alors arrête ça. Adresse-toi aux bonnes personnes, pas à ceux qui veulent te garder dans le même carcan. Ce que tu es en train de faire, la route que tu empruntes, le chemin de la facilité a un prix à payer. Il n’y a pas de pensée magique, de sauveur, de quoi que ce soit. C’est ta vie. Fais ce qui est bon pour toi. Alors bats-toi pour ce qui compte. Je peux tout faire pour t’aider, te tirer de toutes mes forces jusqu’à m’épuiser… ça ne sert à rien. Tu dois faire ta part. Va la chercher cette vie dont tu rêves ! Tout ce qui vaut la peine dans ce monde se mérite. C’est triste mais c’est comme ça. C’est maintenant que tu dois prendre le virage. Après il sera trop tard… C’est trop dur de vivre avec des regrets. Tu entends ce que je dis ou je parle en parabole ? »


« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder ils s’habitueront ». René Char

Où les choses n’étaient pas ce qu’elles semblaient être

J’ai longtemps hésité à raconter cette histoire. Je sais que le texte à propos de cet élève abandonné en foyer a beaucoup ému, et avec raison. Certains m’ont même demandé de ses nouvelles. Je ne sais pas si tout le monde s’en rappelle, elle remonte aux vacances de Noël et avait de faux airs de conte d’Andersen de cité.

Comme vous, j’avais été bouleversée par son récit.

Comme vous, je me suis demandée comment on pouvait faire ça à son enfant.

Et puis, à la rentrée des vacances :

« Tu as eu des nouvelles d’A.? Il m’a écrit des SMS toutes les vacances à me déchirer le cœur… »

Ma collègue CPE a le regard aussi perplexe que ma psy quand je ne règle pas en espèces.

« Ben, il est rentré le lendemain. Son père s’est senti dépassé, il a préféré aller voir la police pour demander à ce qu’il passe la nuit ailleurs. Le lendemain, les éducateurs l’ont ramené chez lui. »

Je vous passe la sidération, les coups de fil à la famille, les entrevues entre assistante sociale et CPE. La nouvelle n’arrivait pas à faire sens.

Il m’a menti. Il m’a trahie ; et ses yeux encore dans les miens quand je lui ai demandé des explications.

Alors je suis passée par tous les stades de la colère : rouge, noire, froide, furieuse.

Et l’éternelle question : comment as-tu pu me faire ça ?

Et la réponse était simple : cela n’avait rien à voir avec moi.

Il m’a menti mais surtout il s’est menti à lui-même. Tous ses appels à l’aide étaient vrais pour lui. Et c’est une douleur et des larmes sincères qu’il m’a présentées, une solitude réelle dans ses messages bien qu’écrits au milieu de sa famille.

Il est des histoires que l’on ne se raconte qu’à soi, auxquelles l’on croit si fort, que l’on se récite le soir comme des prières. Et d’autres en subissent les conséquences.

La réalité a rattrapé A. La classe lui a fait payer cher ses mensonges et il en garde encore des séquelles.

La solitude n’a au bout du compte plus été feinte. Il a été seul un long moment.

Il a tenté de jouer les désabusés, les rebelles. J’ai eu droit à toute la palette du cours Florent pour attirer mon attention. Et un jour, il a été vrai : plus question de déguiser les choses. Je crois qu’il a eu des regrets. « C’est en connaissant ses failles que l’on pardonne celles des autres » m’a dit un jour une amie très chère.

Je me répète ce mantra souvent.

On ne finit jamais de grandir, eux a fortiori.

Ce n’est pas parce qu’on a claqué la porte qu’on en a condamné l’entrée. Le tout, c’est de trouver la clef.