Où j’étais au portail

Avec la reprise en décalé, j’ai pu pour la première fois de l’année emmener et chercher mon fils de l’école.

Je ne sais pas lequel des deux était le plus content. En tous cas, j’avais mis le réveil assez tôt histoire d’être défroissée et je m’étais sapée pour l’occasion.

Et comme l’alignement des planètes n’est pas près de se représenter, j’ai fait la totale: portail du matin, du midi et du soir.

Déjà, je tire mon chapeau et je fais même une révérence à celles (et ceux) qui font ça tous les jours ! Mes parents devraient se voir ériger une statue par leur ingrate de fille.

Parce qu’on est d’accord qu’on passe sa vie l’œil sur la montre à se demander si telle activité vaut le coup d’être commencée car il va bientôt falloir repartir pour l’école; ou c’est juste mon incompétence ?

Ma vie est une course permanente (pensai-je naïvement) mais une fois mon colis largué chez mes parents, je n’ai que moi à gérer jusqu’au retour le soir. Rien à voir avec le stress d’arriver en retard et de se taper la honte la matin ou de ne pas être là au moment de la sortie avec votre enfant la bouche à l’envers à côté de la maîtresse qui se demande si vous l’avez oublié.

Je suis tellement novice en la matière que lundi matin ça a donné:

« -M’man je le ramène à 45 c’est ça ?

– Mais non 35.

-ah ouais ! Je vais le noter sur ma main quand même… »

Du coup, j’ai pu parler avec la maîtresse, j’ai pu voir (et un peu observer) les autres mamans et surtout à chaque fois au portail son regard tout lumineux… et je l’entendais qui disait aux copains:

-C’est Elle, ma maman.

C’était trop bien d’être une maman d’école.

Où ils donneraient des leçons à Marlène Schiappa

Ce sont les vacances cette semaine mais mes studieux troisième ont accepté d’en sacrifier quelques heures pour venir passer leur oral blanc en classe virtuelle.

Et j’en ai eu plein les oreilles.

Je connaissais la variété de leur choix de sujets et je n’étais pas la dernière à fanfaronner en salle des profs: « Moi, mes 3e ont tous pris des sujets culturels ! »

Je ne sais pas si Simone de Beauvoir vient les hanter eux aussi mais alors le féminisme était au rendez-vous et franchement quand on entend encore sur des radio nationales que les chanteuses « moches » devraient « se contenter de donner les chansons qu’elles écrivent »… je ne sais même pas comment terminer cette phrase mais honnêtement ils n’ont de leçon à recevoir d’aucun média.

Je vous livre en désordre la substantifique moelle de leur exposé et je peux vous dire que je n’y suis pas allée de main mortes sur l’entretien.

On commence avec le mythe d’Arachné, la tisseuse qui n’avait cure de ce que la déesse lui sommait de faire parce qu’elle ne la trouvait pas assez « modeste ».

« -Tu penses que modestie et ambition sont des qualités contradictoires ?

-Euh, non… l’un n’empêche pas l’autre.

-Et tu crois qu’Athéna reprochait quoi finalement à Arachné?

-Ah ouais… faut que je réfléchisse à cette possibilité. »

N, un garçon du quartier, a choisi de travailler sur le combat de Simone Veil pour le droit des femmes et termine son exposé par une citation qui ferait dresser les poils d’un reptile :

« Venus de tous les continents, croyants et non-croyants, nous appartenons tous à la même planète, à la communauté des hommes. Nous devons être vigilants, et la défendre non seulement contre les forces de la nature qui la menacent, mais encore davantage contre la folie des hommes.« 

« Dis-moi, N, si une amie à toi venait t’apprendre qu’elle était enceinte. Tu lui dirais quoi ?

-Ben, je lui dirai que je suis là et je l’emmènerai voir un docteur.

-Tu as déjà entendu parler du planning familial ?

-Euh non, c’est quoi ?

– Tu chercheras et on en reparle, ok ? »

C a choisi de s’intéresser aux femmes qui ont participé activement à la Résistance:

-C, je suis en amour du terme ‘agente secrète !

-Moi aussi Madame c’est trop génial ! Et vous savez que quand j’ai tapé ‘résistante’ sur Google il a immédiatement enlevé le « e » ?

-Tu devrais le mettre dans ta conclusion ça. Bon, on va peut-être essayer de te plier un peu aux coins en entretien alors on va anticiper. Qu’est-ce que le féminisme selon toi ?

-Oh c’est compliqué ça… je ne sais pas trop comment le dire.

-Ecoute-moi c’est très simple. Le féminisme c’est lutter pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Ni plus ni moins. Ceux qui cherchent à prétendre que c’est plus complexe brouillent les pistes. Et sinon, tu te définirais comme féministe?

-Chai pas trop. Je suis une fille mais je fais pas d’actions.

-Je trouve que ton exposé en lui-même est une action.

-Ah ben oui c’est vrai ça ! »

Trois exposés sur Simone Veil, un exposé sur les droits de femmes depuis la seconde Guerre Mondiale, les Résistantes, j’en passe d’autres mais le ton est donné. Filles ou garçons, ils se sentent concernés, curieux de l’autre. Bien entendu ce n’est pas la majorité, ils n’étaient déjà pas la majorité à s’inscrire cette semaine. Mais ils posent leur pierre à l’édifice, ils font éclater les cadres qu’on leur impose et c’est une grande fierté de les voir évoluer.

brèves entendues avant le départ

Pêle-mêle de phrases attrapées à la volée avant le deuxième Corona-tour de l’école à la maison.

En espérant que vous êtes sortis indemnes de cette semaine…

« Madame, c’est n’importe quoi ce texte ! Elle peut pas être enceinte, sans mariage ! C’est pas la vierge Marie quand même…

-Je te confirme en effet que ce n’est pas la vierge Marie. »

« Madame, on est d’accord que l’auxiliaire de ‘être’ c’est ‘avoir’ ?

-ça me plaît que mon esprit tordu comprenne le tien, la réponse est oui. »

« Mais, avec mon PAP vous ne devez pas me compter les fautes d’orthographe !

-Moi je veux bien, mais c’est un test de conjugaison. Tu veux que je compte quoi exactement ? »

« Ahhh Leïla je suis fière de toi. Cette seconde générale tu vas finir par l’arracher !

-Et mais moi Madame j’ai eu une bonne note en maths !

-Mais oui mon petit bébé, toi aussi tu es joli. »

« Hé Madame, je sais calculer 6.5X6.5 de tête, moi !

-Super… on s’en fout de ta vie en fait. Madame je peux changer de place ? Je le supporte plus ce zgeg-là.

-Wallah c’est chaud ! Tu peux pas le faire toi !

-Ben si ça fait 13, débile.

-…. »

« Alors Nabil ce mini-stage au lycée, ça t’a fait rêver un peu ?

-Ouais c’était intéressant…

-Ben c’est quoi cette tête alors ?

-Mais Madame ils savent des tas de trucs de plus que moi. Je connaissais rien de quoi ils parlaient…

-Mais attends, ils ont un an de plus que toi, c’est normal.

-Mais non, madame, les autres 3e qui étaient en stage avec nous. On nous apprend rien dans ce collège c’est pas possible. Votre histoire de capital culturel-là…

-Ecoute-moi : tu comprends quand je dis « le subjonctif s’emploie avec des valeurs différentes en subordonnées conjonctives et relatives ? »

-Ben oui.

-C’est pas toi qui m’a écrit dans ta rédaction que dans l’Etranger c’est la simplicité de l’écriture qui nous fait comprendre la simplicité de cette vie ?

-Si…

-Ma main à couper qu’ils savent pas ça les autres. Tu vas très bien t’en sortir. »