Où on les a emmenés au cinéma

Après deux ans sans sortie scolaire, nous avons enfin pu sortir nos gamins des murs du collège. Je crois que nous étions dans la même impatience qu’eux avec le sentiment de partir à l’aventure. Pas moins.

Quand je pense que des collègues ont le courage de les prendre en voyage toute une semaine ! Quelle énergie ! Quel sacerdoce !

Mais rembobinons un peu la cassette.

Sous l’impulsion de ma collègue de lettres préférée, nous avons inscrit nos deux classes de 4e au programme « Collège au cinéma ». Le principe est simple, trois films sont présentés aux élèves, un par trimestre et un intervenant intervient chaque fois pour deux heures sur des thématiques différentes. Merci encore à elle d’avoir tout géré comme une cheffe.

Quand on l’a annoncé aux élèves avant les vacances, j’avais (un peu) préparé mon petit effet :

« C’est bon, c’est validé on ira trois fois au cinéma cette année !

-Waouh ! Super ! On va voir quoi ?

-Alors c’est un film allemand sous-titré sur le mur de Berlin…

-Hein ?! »

Et c’est là qu’il faut comprendre à quoi sert l’école. N’en déplaise au Figaro Magazine, nous sommes là pour apporter une éducation différente de celle reçue à la maison, pas plus importante, parfois en lien, parfois opposée. Comme je le répète souvent à mes élèves, la vie ce n’est qu’apprendre de nouvelles choses. Il n’y a que ça : apprendre en lisant, en écoutant des podcasts, en écoutant des profs, en rencontrant des gens différents, en faisant des projets et à essayer de les mettre en œuvre… Le film allemand sous-titré sur la RDA, peu d’élèves l’auraient vu autrement.

Et puis entre 4 heures de cours et un film, même ouzbèk: le calcul était assez vite fait.

Petits panachage des choses entendues et prononcées :

« Alors tu vois cet immeuble, derrière c’est les dealers. Et puis, ils se mettent là aussi devant la poste, du coup selon les heures, les gens n’y ont pas accès. »

« Vous rentrez dans le bus, vous dites bonjour, vous laissez votre place assise. Vous vous tenez bien. On ne mange pas, on ne dort, On dit au revoir en sortant » (Ce à quoi ils auraient pu me répondre « ça va Madame on sait se tenir. » Car ils ont été adorables. 50 ados qui traversent la ville en bus de ville, on a quand même fait de l’apnée une fois ou deux.

« On en a perdu aucun, non ? »

« Madaaaaaame les acteurs allemands ils sont trop beaux !!!! »

La coupe Beatles et le pull col rond moulant ont encore du succès 40 ans après, ce doit être ça la magie du cinéma.

[Parce que se taire c’est accepter et que c’est insupportable. Le Figaro a raison j’enseigne l’antiracisme, j’aborde les luttes LGBT et même QIA+, on peut questionner le décolonialisme (que je connais mal), beaucoup de féminisme, ils peuvent avoir entendu parler de la lutte intersectionnelle, des études de genres,  de l’écologie, et ils sont autorisés à me poser des questions sur tout. Et on lit des livres aussi. Et si vous êtes sur cette page, ça ne vous aura pas trop surpris. Désolée pas désolée!]

Le méga blues du dimanche soir

Coucher de soleil, vent froid qui secoue les branches qu’on aperçoit moins bien à travers la fenêtre, lumières déjà allumées. La grande tasse est vide ; il ne reste au fond que des marques de passage du thé au caramel et les miettes de biscuit tout autour. Il n’est que 17 heures.

Cette lumière entre chien et loup appuie fermement sur la poitrine.

Les copies sont corrigées, les notes rentrées, même le sac est bouclé.

Quel problèmes de riche après deux semaines de congés, quelle indécence d’oser avouer… qu’on n’a pas envie de rentrer.

N’oublions pas que nous autres, profs n’avons jamais quitté l’école. On est juste passés de l’autre côté du bureau. Et comme les élèves :

il y a celui qui a planqué son cartable pendant toutes les vacances et qui fait les devoirs le dernier jour, le couteau sous la gorge. « Bien sûr que je peux corriger 100 copies aujourd’hui ! Je suis large ! »

Il y a l’intello consciencieux qui a tout corrigé la première semaine et monté des projets la deuxième. « Oui, je me suis reposée, je n’ai travaillé que les matinées. J’ai corrigé quelques dizaines de rédactions, rebâti toute ma séquence pour mes troisièmes, et préparé le devoir commun des quatrièmes. Ne pas travailler ça me stresse trop et de toutes façons je me lève à 6h30 naturellement.»

Il y a celui qui procrastine en remettant à plus tard la longue liste de tâches qu’il avait longuement planifiées pour ces vacances. « Je vais avoir un tunnel de temps ces vacances, terminé le stress de la dernière minute cette fois, je m’organise. Je change tout. » Ellipse. « Non mais moi, je fonctionne mieux dans le stress. Je suis beaucoup plus performant. »

Haut les cœurs ! On va revoir les copains, mettre ce nouveau pull qu’on a acheté pour frimer, râler contre le réveil qui sera venu trop tôt et le sommeil trop tard.

Les vacances d’automne ont cela de particulier : elles sentent bon le potiron mais ramènent la mélancolie des feuilles mortes. Aller, on se dira qu’ils nous ont presque tous manqués et que c’est joli tout de même, les rayons de soleil mêlés aux couleurs de saison.

En attendant que la nuit daigne tomber, et couvrir de son plaid réconfortant les âmes sensibles, se couler dans un bain chaud à se friper la peau.

Demain, ils seront là et ce sera comme à chaque fois, comme si on ne s’était pas arrêtés.