
Après une longue absence pour des soucis de santé à la sortie des vacances, j’ai pu enfin retrouver mes collégiens qui ont eu la délicatesse de ne pas m’oublier. Et cette semaine, j’ai beaucoup de choses à raconter.
Je vais vous raconter la récitation de poésie des 4e, moment suspendu.
La consigne était simple: choisir un poème en lien avec la thématique de séquence, l’apprendre et le réciter sur la musique de son choix.
La séquence c’est « Dire l’amour » que je traite cette année sous deux aspects: la poésie amoureuse et la pièce Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Après six semaines de Cyrano, ils n’avaient plus aucune retenue ! Au diable la gêne adolescente, « Madame, parlez-nous d’amour ! »
« Vous l’avez peut-être remarqué mais les poèmes qui parlent d’amour, décrivent rarement un amour heureux. L’écriture vient souvent quand on a mal, quand on envie de parler de quelqu’un ou à quelqu’un. Et ce qu’il y a de magique, c’est qu’en parlant de lui, le poète parle de nous.
Vous n’avez jamais remarqué que vous écoutiez de la musique triste quand vous vous sentez mélancolique?
Des scientifiques ont établi que la tonalité des notes de musiques tristes agirait sur des zones du cerveau responsables du réconfort. C’est aussi triste que de voir l’amour comme une simple réaction chimique hormonale.
Le poème, comme la chanson, vient toucher l’âme. C’est courageux de résister à oublier quelqu’un qui vous manque. Vous connaissez la chanson de Brel « on n’oublie rien de rien » ? Bien sûr que non ! Allez l’écoutez et vous verrez de quoi je parle.
Alors vous choisissez un poème qui vous parle, qui résonne en vous et vous l’associez à une musique qui remue quelque chose. »
Et j’ai eu droit à deux moments de grâce que je vous livre par extrait accompagnés des musiques que les élèves ont choisies. Ce n’est pas la première fois que je pose cet exercice mais c’est la première fois qu’il est pris au sérieux. Les élèves n’ont pas tous pris le poème le plus court ni la première musique instrumentale trouvée sur Youtube.
Aimer à perdre la raison
Aimer à n’en savoir que dire
À n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saison
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison
Ah c’est toujours toi que l’on blesse
C’est toujours ton miroir brisé
Mon pauvre bonheur, ma faiblesse
Toi qu’on insulte et qu’on délaisse
Dans toute chair martyrisée
La fin, la fatigue et le froid
Toutes les misères du monde
C’est par mon amour que j’y crois
En elle je porte ma croix
Et de leurs nuits ma nuit se fonde
Aimer à perdre la raison
Aimer à n’en savoir que dire
À n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saison
Que par la douleur de partir
Aimer à perdre la raison […] Aragon
L. qui est le garçon le plus étrange jamais croisé. Toujours à côté, un peu morbide, un peu malaisant. 4 de moyenne en français. Sa récitation tremblante donnait une force folle à sa récitation.
Puis, Lyne, nous a offert une incarnation du poème de Rimbaud. C’était comme voir une fleur s’épanouir au printemps.
[…]
Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire !…
– Ce soir-là…, – vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade. (Rimbaud)
« Olala Madame je crois que je vais pleurer. » souffle O derrière moi.
Et elle n’était pas la seule.