Just kids

La semaine dernière, j’ai découvert que le finaliste pour la meilleure baguette de France était à 3 kms de chez moi. Et c’est en arrivant que je me suis aperçue que c’était en face du collège où j’ai fait mon année de stage.

Pour les non initiés, quand vous obtenez votre concours dans la fonction publique, vous êtes « fonctionnaire stagiaire ». En tant que prof, ça veut dire que vous passez une année en formation et en service à l’issue de laquelle l’inspecteur.ice (oui, je tente l’écriture inclusive, c’est pas que j’aime ça mais on en parlera à un autre moment) ou assimilé vient vous titulariser.

Je ne vais pas parler du concours, encore qu’il y aurait des choses à dire en ce moment.

J’ai plutôt envie de parler de mon premier jour. Mon tout premier jour de prof certifiée.

Sur le chemin de la boulangerie, en reconnaissant le cimetière à droite du chemin puis la halle des sports, j’ai été traversée par des visions et des sensations.

C’est fascinant la mémoire, c’est présent dans tout le corps.

Je revois ma main ouvrir la serrure de la classe. Les élèves étaient rangés. Ils étaient calmes et moi, terrifiée. Je me rappelle m’être dit « ne montre pas que ta main tremble ».

Quand ils sont rentrés, ils sont restés debout à attendre que je les autorise à s’asseoir.

Et je me suis dit: «c’est fou ! il suffit que je parle pour qu’ils s’exécutent. » et j’ai dû sourire en pensant aux possibilités qu’un tel pouvoir offrait.

Au volant, je sens à nouveau mon cœur qui bat.

Il fallait alors monter sur scène et dire son texte. Ils ne le savaient pas, eux, que je ne savais pas quoi faire. Parler, ne pas bafouiller et avoir l’air sûre de soi.

Ça, ça n’a pas changé. J’ai toujours l’impression d’être en représentation. C’est un public d’autant plus difficile qu’ils n’a pas acheté ses places.

-Bonjour, je suis Mme T. Et je serai votre professeure de français.

C’est un des moments de l’existence où je me suis sentie absolument dans l’instant présent. J’étais où j’avais toujours rêvé d’être, malgré les virages et les ressacs de l’existence. Et j’y étais bien.

J’avais un autre nom alors et avant eux, je n’y prêtais aucune importance. Mme T c’était ma mère, pas moi. C’est un peu comme si c’était eux qui m’avaient baptisée. Avec leur « Madaaaammmeee T. » qui traîne et qui trahit l’appel à l’aide.

Et quand plus tard, j’ai changé de nom, ça a été dur de l’abandonner jusqu’à ce que dans leur bouche, de nouveau, je me retrouve.

Je n’ai plus jamais enseigné dans ce collège et je n’y retournerai sans doute jamais. J’ai pleuré en partant et j’ai pesté dur contre le système des mutations.

J’ai pourtant toujours eu de belles surprises.

J’ai pleuré en quittant chaque bahut et j’ai pesté toujours plus dur ces longues années de TZR.

Et puis, c’est devenu trop difficile de devoir partir alors, là encore, la vie a fait en sorte de me poser.

Et j’ai enfin pu rester.

A toi, à vous

Si on remonte le long des archives de ce journal en ligne, on peut voir que le premier article date d’octobre 2015.

J’étais alors toute jeune titulaire de l’Education Nationale. Je découvrais ce que c’était qu’enseigner 18 heures dans une semaine et à quel point ma condition physique n’était pas assez bonne pour ça, je découvrais les postes partagés sur deux établissements, la vie de TZR, et surtout je faisais mes premiers pas en Education Prioritaire.

J’étais terrifiée et en même temps j’avais le sentiment de vivre chaque jour une nouvelle aventure et surtout j’avais des choses à raconter.

J’entendais déjà « Ah oui, c’est déjà les vacances ! haha en fait vous ne pouvez pas bosser plus de deux mois de suite. »

Et je me disais que s’ils venaient voir ce que c’était qu’une journée au collège peut-être qu’ils comprendraient. J’ai eu envie d’ouvrir un trou de souris pour les curieux, pour montrer ce qui se passe du côté du tableau.

Et puis, j’avais envie d’écrire.

Et puis j’avais envie d’être lue.

Ce n’est pas si simple à admettre, pas si simple de s’autoriser à le dire. Les rencontres de la vie ont permis de rendre ce besoin légitime.

C’est très difficile d’être lue par les gens qui vous connaissent. Comme je changeais de collège chaque année ce n’était pas un problème de passer incognito avec ces petits textes. C’est plus compliqué avec le poste fixe. Je me souviens que je cachais les publications à mes collègues pour qu’ils ne tombent pas dessus. Par pudeur, par crainte de mal évoquer leur réalité, par peur tout court.

Et le premier « Je ne savais pas que tu avais un blog, j’adore ! » en salle des profs.

Je sens encore la chaleur dans mes joues et la vapeur dans mes oreilles.

Alors, autant se jeter dans le vide et ne plus se cacher.

A ceux qui sont là depuis le début, à ceux qui ont croisé mon chemin, à ceux qui arrivent ici par hasard, vous comptez beaucoup.

Et j’aime tellement quand vous prenez la peine de me laisser un mot.

Ça me manque de ne pas vous lire, de ne pas savoir comment vous allez, dites-moi que la vie est douce malgré tout.

On n’écrit jamais que pour être lu, est-ce que vous êtes toujours là? Ici ou ailleurs.

Ma main dans ta main

Robert Doisneau, Retour à l’école

-Alors, le 9 juin c’est votre conseil de classe. Ensuite on passera aux vœux d’affectation pour la rentrée. Oral le 2 avant cela. Et puis le brevet est tard cette année, vous le savez. Avant de le passer, le premier tour des affectations sera passé et vous aurez normalement votre dossier d’inscription pour la rentrée prochaine. Pas de départ en vacances avant la fin du brevet et l’inscription, d’accord les Globe trotters?

Devant moi, des visages fermés, des regards inquiets et quelques têtes baissées. Mais surtout un lourd silence.

-ça va les enfants ?

Silence.

-c’est stressant cette fin d’année?

Kaïs, qui attend de se mettre au travail depuis septembre parce qu’il a préféré vivre la Vida Loca pour cette dernière année, murmure:

-Ouais, quand même un peu.

Ils le savent, les jeux sont pratiquement faits. Le conseil de classe est dans un mois; le deuxième brevet blanc est corrigé. Et la fameuse pression qu’on leur met depuis deux trimestres et demi semble les faire ployer sous son poids tout à coup.

Quand je les vois avec leur physique approximatif d’ados en cours de téléchargement, je ne peux m’empêcher de me demander quels adultes ils seront.

J’écoute beaucoup de podcasts qui parlent de création et de la vie d’artiste. Tous racontent la même chose: l’école ne les a jamais compris ou a voulu les caser dans des filières à des années lumière de leur envie et de leur talent. La fameuse conseillère d’orientation tout droit sortie d’un clip de Black M les fait encore trembler. Et à chaque fois, je sens mon estomac qui se rétracte. Et ça me rend si triste.

L’école n’est sans doute pas une fabrique à artistes, ce n’est pas sa vocation. Mais elle n’est pas non plus censée tuer les rêves.

-Je sais que c’est stressant. Mais vous allez enfin quitter le collège, démarrer le lycée et votre vie de jeunes adultes. C’est stimulant aussi, non ? Vous allez faire des choix et commencer à construire quelque chose.

Et toujours ce silence.

Alors le doute s’empare de moi. Au milieu des remontrances, des secouages en bonne et due forme, des plaintes sur le niveau, sur le manque de curiosité, la persévérance qu’il faut acquérir, des encouragements, des plannings de révisions, des leçons de grammaire et des sujets de rédaction, des piles de livres sortis de la réserve et des plans de travail imprimés le matin… n’ai-je pas oublié de leur dire d’oser rêver ?

-Hey, je vous ai répété qu’on était ensemble cette année, je ne vous laisse pas tomber. Vous le savez ça ?

Et un sourire timide se dessine.