Le maître d’école

Cette année, nous est arrivé en 5e un élève de Mayotte.

Mayotte, officiellement, c’est la France. Sauf que le mahorais reste la langue la plus parlée et qu’il y a encore une bonne part de la population qui ne parle ni ne lit le français.

Quand je travaillais dans la ZUP, il y avait une forte communauté mahoraise. Ils étaient très sages mais ne comprenaient presque rien à ce qui se passait en classe. C’était une situation horrible que l’on essayait de compenser par la présence d’AESH aussi démunis que nous.

Ils devraient bénéficier du dispositif UPE2A, c’est à dire bénéficier de cours de français langue seconde pour assurer leur inclusion en classe. Mais Mayotte, c’est la France vous comprenez. Donc ils ne peuvent rentrer dans le dispositif puisque la langue officielle de Mayotte est le français.

Sauf que dans les faits…

Adama est donc arrivé en cours d’année. Il parlait très peu français mais a été adopté par l’ensemble de la classe en un temps record. Quelque chose devait irradier de lui: fille comme garçon, ils se disputaient pour avoir le droit de s’asseoir à côté de lui.

Comme il avait une graphie plutôt correcte, je me disais qu’il ne comprenait pas encore bien le français mais que cela allait s’améliorer au fil du temps.

J’ai mis du temps, bien trop de temps à réaliser qu’en réalité il ne lisait pas du tout. Lors d’une séance en demi groupe, je lui ai demandé s’il voulait que je lui sorte des fiches pour qu’on essaye d’apprendre à lire.

-oui, je veux bien.

-Mais je dois te dire, que ça ressemblera à des fiches pour tout petits, avec des images et des mots faciles. Il ne nous reste pas beaucoup de temps, on fera au mieux. Tu es sûr que ça ne te fait rien ?

-Non, non c’est bon.

Le cours suivant, je le mets donc en face de moi à côté d’Abdel.

Alors celui-là avec ses dents de toutes les tailles et son sourire de gredin, je l’adore. Il écrit comme un chat, a une orthographe conceptuelle, ne comprend pas tout ce qu’il lit mais lève toujours la main pour participer.

Bref, ce jour-là je fais mon cours sur les compléments circonstanciels. Je leur fais recopier les exemples afin qu’ils parviennent à dégager les trois propriétés de la leçon et je reste quelques minutes avec Adama pour lui faire entendre le son P dans «poule », « pantalon » et « jupe ». Puis je retourne vers les autres. C’est du bricolage, on est d’accord.

Au bout de la troisième fiche, je me retourne et je vois Abdel en train de taper dans les mains pour compter les syllabes.

-PAN-clap-TA-clap-LON-clap. Où est le -p-?

-Mais qu’est ce que tu fais ?

-Ben je fais comme vous, il avait fini l’exercice. Par contre, c’est bien un oiseau le mot qui est dessiné là? Je comprends pas, il n’y a pas de -p- dedans…

-Oui, c’est un oiseau mais c’est « pie » le mot que tu cherches.

-ahhh oui.

Et il reprend imperturbable:

-Alors dans « Pie » est ce que tu entends le son -p- ?

Ces gamins, chaque jour ils me blastent. Et c’est pas faute de m’en plaindre souvent.

Ils sont un tel condensé d’humanité et d’innocence parfois que j’aurais envie que le temps s’arrête pour pouvoir juste m’asseoir et les regarder.

-Tu sais que tu ferais un super maître d’école ?

-haha oui ! Abdel le maître d’école du bled !

-Je crois que tu as le truc. En revanche un maître d’école… il a une jolie écriture et une belle orthographe, faudrait les travailler pour que tu apprennes bien les lettres et les mots à tes élèves.

Il n’a rien dit mais son sourire montrait ses dents de toutes les tailles.

On passe notre temps à planter des graines, parfois on les arrose de soufflons et parfois de mots tendres. Souvent, le résultat est invisible pour les yeux mais j’aime à croire que même si cela se fait loin de moi, la graine germera un jour.

Dans les moments de doute ou de lassitude, quand ils t’épuisent et que rien ne va dans l’institution, quand la vie est trop lourde et que tu as envie de tout plaquer: n’oublie jamais que tu fais le plus beau métier du monde. Je sais, moi, comme tu es formidable.

« Alors pourquoi laisser ce sublime silence se briser aujourd’hui? »

C’est le texte que je me refuse à écrire depuis deux mois. Et pourtant, j’ai besoin de te l’écrire pour sortir de cet état de stase.

Je sens déjà que ça va être un bazar infini mais au moins tu auras un nouvel aperçu de ce qui se cache dans mon cerveau malade.

Tous ceux que j’ai côtoyés cette année m’ont entendue répéter en boucle la même phrase:

-Je peux pas, je dois réviser…

Et cette année,j’ai beaucoup révisé et j’ai fait des grosses, très grosses fiches de lecture.

J’ai repris le chemin de l’université, j’ai acheté des livres prescrits par un Bulletin Officiel, j’ai mis des cartouches d’encre dans mon stylo, un sac à dos et des baskets.

-Tu ne crois pas que je fais trop vieille dans ce décor de fac ?

-Mais non… on dirait que tu as toujours 20 ans, tu es une éternelle étudiante.

J’ai préparé l’Agrégation.

Comme beaucoup de profs chaque année.

Ce concours… C’est compliqué, très compliqué lui et moi. Une vieille histoire…Je m’étais d’ailleurs dit que je n’y retournerai plus jamais.

Et puis le programme est sorti et c’était comme une évidence. Cyrano de Bergerac, La Nouvelle Héloïse, Les Regrets. A passer une année de préparation, il valait mieux que la compagnie soit douce.

Avec ces œuvres, la vie me disait tout bas « Mais vas y, tu vas voir. »

Et ça a été difficile et violent et stimulant et riche.

Les crises d’angoisse ont fait un come back plus inattendu que celui de Kyo. J’ai lu beaucoup, écrit des heures, mais pas ici. Peu dormi et pris du poids. J’ai passé ma journée du 24 décembre à tenter de comprendre en quoi la bataille entre les Anciens et les Modernes avait influencé l’écriture des contes de fées, ma journée du 31 à rédiger un devoir de didactique et à pleurer sur ma note à 2h du matin, une fois les invités partis, parce que ce salaud de correcteur du Cned l’avait déjà corrigée et m’avait assassinée en commentaire. J’ai eu une cystite bactérienne qui a duré 6 mois. J’ai perdu deux bébés dont un à quelques semaines de monter à Paris pour les oraux, j’ai pleuré pendant des jours. Puis, j’ai pleuré de joie quand j’ai été admissible et fait des bonds quand mon professeur d’université vénéré m’a écrit pour me féliciter parce qu’il avait vu les résultats. J’ai passé des oraux devant les plus grosses têtes de l’université française. Je n’ai vu presque que ma famille proche pendant 9 mois, j’ai assisté à des visio de grammaire dans ma voiture en rentrant du collège, j’avais 3 heures sup et j’étais PP de 3e, j’ai rougi jusqu’à ne plus pouvoir dormir quand un de mes professeurs m’a demandée l’autorisation de lire mon devoir au cours du lendemain. J’ai aimé et détesté cette année à part égale.

J’ai passé la quasi totalité de mes séances de psy à dire « Je vais mourir avant les écrits, c’est sûr. Il n’y a vraiment personne pour comprendre que je vais crever !!!! »

Puis:

« Je suis admissible, c’est une catastrophe ! Cette fois, je le sais je le sens, je suis en danger de mort. »

Et quand le Sphinx me demandait ce qui pouvait bien m’arriver de si horrible et que je lui répondais « Mais je vais rater. je vais me planter. C’est pas pour moi ce concours ! Et quand je me planterai, alors tout le monde saura que je suis une sacrée imposture ! Je ne sais pas ce qui est le plus terrible: entendre quelqu’un me dire que c’est certain, je vais l’avoir ou savoir au fond de moi que je ne l’aurai jamais.

-Mais vous ? Qu’est-ce que ça dit de vous ?

– Ça dira la vérité… Vous ne comprenez pas. C’est la première fois que je prépare ce concours. Je veux dire vraiment préparer. Pas juste acheter les livres et aller passer les écrits en croyant à un miracle. Chaque fois que je me suis inscrite, j’usais de toutes les stratégies d’évitement pour ne pas travailler et pour avoir une bonne raison de la rater ! Puisque je ne travaillais pas, ça ne pouvait pas venir de moi. Mais là, je fais tout pour l’avoir… si je rate alors, qu’est ce que ça dira de moi ?

-Je crois que vous êtes très préparée à la rater au contraire, au point même que vous avez sans doute encore plus d’angoisses à l’idée de réussir.

Ils ne sont pas nombreux ceux qui arrivent à me fermer mon grand caquet. Mais ce soir-là, je me suis tue un long moment et j’ai entendu cette phrase tourner en boucle dans ma tête.

Alors je me suis mise à y croire et à me dire chaque matin devant le miroir que c’était mon année, que j’allais l’avoir, que l’univers me devait bien ça.

Et alors ?

Et alors je l’ai ratée.

Ce n’était pas encore mon année.

Et puis je leur ai dit, à eux, là, mes grands enfants qui y croyaient durs comme fer parce que « c’est obligé Madame, vous connaissez tous les mots ! »

-Alors Madame votre concours ? Vous êtes allée à Paris ?

-J’ai été à Paris. Et je n’ai pas réussi..

-Ah bon ? Mais vous allez faire quoi ?

-Ben recommencer.

-Quoi, encore ? Vous devez tout refaire ? Flemme, non ?

– Franchement grande flemme même. Néanmoins (j’adore leur balancer des petits néanmoins qu’ils ne voient pas venir), il y a des rêves pour lesquels il faut se battre très fort et pleurer parfois.

Alors j’ai acheté les nouveaux livres prescrits par le bulletin officiel et remis de l’encre dans mon stylo.

Je n’ai pas encore réussi à m’y remettre, l’année m’ayant laissé dans un certain épuisement. Je ne suis pas en avance d’après ce que je vois sur les différents forums mais ma foi, si j’ai appris quelque chose cette année c’est à suivre ma propre temporalité et à me faire confiance même si je n’ai pas pris d’arrêt maladie pour réviser, même si je n’ai pas fait moins d’heures de cours, même si je n’ai pas de congé de formation.

Elle était là,tu sais, à portée de main.

Sauf que ce n’était pas encore mon année.


Mais quelle année malgré tout.

Deux mois à ressasser, deux mois à geindre et à être amère, à chercher ce que la vie me voulait.

Et puis, j’ai compris.

Et si je choisissais de déposer ici l’amertume et la colère et que je tentais de me rappeler les yeux de mon fils quand il a appris que j’étais admissible, les cours de grammaire de cet extravagant professeur si passionnants et drôles, les mots d’amour, les paroles de soutien, les messages d’encouragements et Cyrano, et Julie qui écrit à Saint Preux et les poèmes de la Renaissance et les vérités que seules la littérature peut offrir.

Au bout du compte, il y aura toujours la littérature.

Et qui sait ce que la vie nous réserve ?

Où j’ai eu le sentiment qu’ils m’avaient trahie

J’ai écrit ce texte, il y a un moment. Je l’ai laissé non publié parce qu’il ne me plaisait plus. Mais il est là dans les brouillons, ça ne coûte rien de le laisser sortir.

Cours normal avec les quatrièmes. Dernière heure de la matinée, j’ai faim mais c’est pas grave puisque c’est avec eux que je finis la matinée.

Ils arrivent dans une de ces énergies ! Rien qu’à leur manière de passer la porte, ça décoiffe.

Bon, c’est bruyant, je lève un peu la voix manière de rappeler qu’on est en classe et je leur demande de s’asseoir comme à chaque fois. Et là, je vois certains d’entre eux rester debout et d’autres faire des squats statiques mais qui ne posent pas leur derrière sur la chaise. Remake d’un jeu d’il y a un ou deux ans.

-Punaise, on est repartis sur les jeux débiles les enfants, là ? C’est bon, merci, HAHAHA c’est très rigolo, aller on s’assoit et fin de l’histoire.

ça m’a pris quoi ? une minute de retrouver le calme. Je suis restée calme, je n’ai pas crié. Un soupçon d’arrogance pointe un peu au fond de moi, je dois l’avouer.

Je leur explique que ça me dérange de les voir obéir à un simple mot de celui qu’ils ont choisi comme alpha du groupe sans se poser de questions, que ça ne les rend pas malins loin de là et qu’en plus ils vont s’attirer des problèmes.

Eux ne m’expliquent pas qu’ils n’en ont rien à faire de mes réflexions sur les rapports de domination et les dynamiques de groupe mais ils font bien illusion.

On commence la correction du contrôle. Je l’avais corrigé la veille et c’est un devoir que j’avais construit comme un mini brevet. Il est plutôt raté, je sais quels points exactement je veux qu’on revoit ensemble en me disant si ça c’est acquis en fin de quatrième, ce sera vraiment du temps gagné pour l’année prochaine.

Je prends le relou de service qui bavarde et le mets devant moi, collé à mon bureau. Depuis qu’il s’est fait renvoyer de son collège privé (c’est à se demander qui paie de l’établissement ou des parents tellement ils nous reviennent en boomerang), il a retourné la classe. C’est lui, l’alpha en question.

Je commence ma correction et, je ne sais pas, cette histoire de narrateur et de focalisation qui n’est pas acquise doit vraiment m’inquiéter parce que…je n’ai rien vu venir.

-Madame, vous ne trouvez pas qu’il fait chaud? demande Alpha Blondy et sa décolo (ratée)

Je n’ai pas le temps de répondre que je vais ouvrir la porte, que je vois mes quatrièmes se coucher sur la table comme s’ils étaient tombés raide mort.

Je ne peux m’expliquer la fureur qui est montée en moi à ce moment.

C’est puissant la colère et c’est difficile à apaiser.

J’ai hurlé, franchement je n’ai pas d’autres moi, j’ai ramassé tous les carnets, collé des retenues à tire la sonnette avec double tarifs pour Alpha Blondy et je leur ai passé un savon.

Ils ont recopié une correction magistrale où je n’ai donné aucune explication dans le silence absolu et avec un travail à faire débile pris dans le manuel alors qu’on ne s’en sert jamais.

Comment, eux, pouvaient-ils me faire ça, à moi ? Je me suis sentie trahie.

C’est ma classe favorite, il y en a toujours une. Celle avec laquelle vous faites le plus de projets, celle que vous attendez en vous disant que la journée est forcément cool parce que vous les voyez.

Ceux pour qui je travaille tant et dont je parle depuis 9 mois ici, eux-là, ils m’ont remis à ma simple place de prof. Et d’un coup j’étais une parmi d’autres sans distinction. Et ça a piqué fort.

Ils sont venus s’excuser un peu maladroitement:

-Madame, on voulait pas vous fâcher… On a vu ça sur TikTok, ça nous a fait rigolé… bon pas vous… mais vraiment, désolés.

-Faire ça la semaine où je remplis les bulletins n’est pas malin. Mais bon nous verrons. Bonne journée.

Une muraille s’est dressée entre eux et moi. Une muraille que j’ai dressé parce que j’ai encore beaucoup à apprendre sur ma façon de gérer la colère et la frustration.

Je vous préviens ma psy et moi on fait un break, du coup, je continue ma psychanalyse ici.

ça n’avait en effet rien à voir avec moi et tout avoir entre eux. Parce que l’adolescence a pour principe même de rendre folle toute figure qui représente l’autorité et que c’est sain aussi de la remettre en question même si, bon sang, c’est pénible quand c’est vous qui en faites les frais.

Bref, j’ai repoussé l’écriture des bulletins de 48h histoire de ne pas saborder 3 mois de progrès continus et j’ai téléchargé TikTok pour comprendre de quoi ils parlent ces idiots et pouvoir déconstruire un peu les images qu’ils « swipent » à longueur de soirées.

Je me rappelle en écrivant ces lignes la réplique tellement rude mais vraie de Nadiya qui ricanait quand certains élèves espéraient que je n’obtienne pas ma mutation:

-Aller aller ! Vous pleunichez « Mme R.. gnagna », un été au soleil et oubliée Mme R !

Et c’est bien normal.

N’empêche, moi, je n’oublie rien.

Mon bébé ne veut plus être un bébé

-Maman !!! Aujourd’hui on a mangé à la cantine de l’école des CP ! J’avais un plateau et tout. J’ai pris une entrée et un dessert ! C’était trop hyper méga bon !

Les papiers sont remplis, son nom sera bien sur les listes à la rentrée.

Mon bébé va rentrer au CP.

-Maman, ça fait longtemps que je ne suis plus un bébé ! Je suis un grand ! Je n’ai plus de couche !

Sans doute.

Mais alors explique-moi pourquoi, Monsieur Le Grand, quand, chaque soir avant d’aller me coucher, je passe dans ta chambre pour te regarder dormir, tu as toujours la lèvre du haut retroussé en un bouton de rose et les bras en angle droit au dessus de ta tête.

Pourquoi quand tu fais un cauchemar, tu cries toujours mon nom, celui que tu es le seul à prononcer ?

Et quand tu es malade, ne restes-tu pas contre moi jusqu’à t’endormir d’épuisement?

Tu fais tes nuits depuis longtemps maintenant mais je me lève toujours pour être sûre que tu vas bien, que tu es bien couvert et que tu n’as besoin de rien.

Tu manges de tout depuis longtemps mais je prépare tes repas avec le même souci des vitamines, des fibres, du goût et la hâte de découvrir ton sourire devant ton plat préféré.

Tu ne m’embrasses plus avant de rentrer à l’école, trop pressé de retrouver ta maîtresse et tes copains mais je reste si fière le peu de fois où je me retrouve devant le portail.

Tu n’es plus un bébé mais tu restes le mien, mon trésor caché au fond de mes entrailles pendant 9 mois.

Et comme c’est beau et comme je suis fière de te voir t’ouvrir au monde.

Puisse l’école continuer à t’apporter la joie, l’enthousiasme et l’envie d’en connaître toujours plus.

Puisses-tu l’aimer comme je l’aime.

Si tu le voyais, avec ses yeux en amandes, ses joues comme deux pommes d’amour et son corps tout allongé…

Mon grand va bientôt rentrer au CP et me rappelle que le temps file trop vite.

Le temps doux-amer des mutations

-Tu as fait une demande de mut’?

-Oui… mais je regrette… j’espère que je n’aurai rien franchement.

-Hein ?! Mais pourquoi t’as demandé alors ? Tu sais, c’est comme ça qu’on finit par l’avoir !

-Oui… mais c’était la fin de l’hiver, j’étais rincée, j’avais froid… tout ça quoi !

-Génial, Ju. J’espère que tu ne prends pas trop de décisions pour ta vie en hiver du coup !

Il est là, il est venu: le temps des mutations. Les résultats sont tombés et il va encore falloir terminer cette année par des « au revoir ».

Mais ce n’est pas moi qui part.

Et comme je suis soulagée.

Je travaille toujours aussi loin de chez moi, même plus loin depuis que je me suis excentrée mais ce n’est pas sans raison que j’ai sacrifié mon pécule de points il y a trois ans.

Ce collège, cette équipe, ces élèves…

Je l’ai déjà écrit mais il m’a happée d’emblée par son énergie, son entrain; c’était très particulier.

Alors que j’avais passé l’été à pleurer parce que j’étais affectée toujours plus loin, qu’il fallait reprendre l’A9 tous les jours, retourner dans la ville avec un accent cauchemar de mon hypokhâgne: j’y suis restée. J’ai vu mes racines repoussé alors que je m’étais sentie, il est vrai, violemment arrachée de la ville aux remparts.

Un poste s’est ouvert grâce à la volonté du Chef d’établissement (je sais qu’il passe par ici, je l’en remercie encore) il y a deux ans et je l’ai obtenu avec un PEL Education Nationale de 1200 points. J’avais alors fait tapis.

Mais il est à 65kms. C’est loin tout de même. J’ai passé 6 heures sur la route pour rentrer lors des inondations d’octobre la peur au ventre, je suis loin quand mon fils a besoin de moi ou même l’un de mes proches, je me lève tôt, trop tôt et j’ai développé un curieux attachement à ma voiture, sas de décompression de la journée.

MAIS….

Que voulez-vous ?

Il y a les sourires chaque matin au café, les « Madaaaamme j’adore votre robe aujourd’hui ! », la belle blonde avec qui je mange tous les jours bien qu’on ne puisse plus covoiturer, la prof de math la plus douce de la terre, la copine prof d’Espagnol qui veut nous donner des cours pour qu’on puisse communiquer autrement qu’en Franglais avec nos élèves étrangers, les anciens qui ont tout vu et qui se font encore surprendre, la fatigue et l’usure de l’éducation prioritaire… Si je les listais un par un, il me faudrait des pages et des pages. Chacun sait ce qu’il représente pour moi. L’avantage d’être un livre ouvert sans doute.

Il y a cette salle de concertation où l’on se plaint, où l’on innove, que l’on tente d’éviter aussi pour s’échapper un poil plus tôt, où on entend des « Bon, je suis pas hyper pour mais dans tous les cas je vous suis. »

C’est une deuxième maison, une autre famille.

Et puis, il y a ceux qui vont partir et qui en sont heureux. Alors se réjouir malgré le chagrin. C’est cela, aimer. Accepter que le bonheur de quelqu’un puisse se faire à vos dépens et vous effacer pour laisser de la place à ce qui doit éclore.

Mais je n’ai jamais été douée pour les au revoir.

Je sais que tu es toujours là mais tu laisses un grand vide.