Une question de style

A l’époque de ma deuxième année de Master, j’étais en entretien avec l’une de mes directrices de recherche qui faisait son retour sur les premières ébauches de mon mémoire :

-Votre style est très journalistique.

A sa lèvre retroussée et son regard perçant, j’ai vite compris que ce n’était pas un compliment et que le dégoût exprimé par sa moue ne venait pas de la gitane sans filtre qui pendait à son doigt.

Elle continuait ainsi:

-ça ne va pas du tout ! Il faut tout reprendre et notamment votre manière de citer les universitaires par leur nom de famille. On n’est pas en Amérique, ici ! Les gens ont un prénom ou à défaut, une initiale!

J’étais ressortie de là perplexe. L’implicite de son discours, c’était que l’université française avait des codes et que sans eux, on ne passait pas. Et je voulais tellement en être que je n’avais pas le temps de m’offusquer. J’allais donc faire tout ce qu’il fallait pour les adopter. J’ai repris mes phrases une à une, toutes mes notes de bas de pages à la lumière des remarques de celle que j’élevais au rang de déesse du savoir.

Mais tout de même cette histoire de style journalistique me trottait dans la tête.

En discutant avec mes deux inséparables de l’époque, l’expression nous avait laissées dubitatives:

-ça écrit pas bien un journaliste ?

-ben je sais pas. Quand même les types qui écrivent pour Le Monde doivent savoir écrire, non?

-Moi, je l’aurais pris comme un compliment. Bizarre…

Et puis l’autre fois, en lisant l’édito de Vanity Fair (ça va ! Je passe déjà deux heures par jour avec Proust en ce moment… je compense), j’ai trouvé le style abominable et le pire c’est qu’on sentait la satisfaction de celui qui écrivait. « Oh Oh formidable, cette tournure. Bien envoyé ! »

Attendez je vais vous en chercher un morceau pour que vous le goûtiez:

« De l’appartement secret où s’était réfugiée la petite martyre d’Amsterdam aux paillettes de cinéma, il y a un grand pas, que notre magazine n’hésite jamais à franchir. »

Arf, cet art de la périphrase hypocoristique ! Pourquoi le seul adjectif qui vient toujours pour qualifier une jeune femme c’est « petite » ? Et le jeu de mot sur le pas franchi par l’audace de Vanity Fair. Au secours: ‘je me brûle et me noie.’ (au moins l’emphase est-elle de Louise Labé)

Alors j’ai repensé à la déesse à la gitane sans filtre avec un grand sourire.

Le style est quelque chose qui se travaille.

Je trouve le mien terrible pourtant. L’usage de la virgule n’est toujours pas maîtrisé, les propositions sont juxtaposées jusqu’à la nausée et je ne parle même pas des tics d’écriture et des 200 mots de vocabulaire qui tournent en boucle.

Néanmoins, à force de pratique, la Juliette de 22 ans a dû gagner en lisibilité.

Il y a quelques temps, en salle des profs, deux copines parlaient des textes du blog:

-T’as remarqué que parfois elle utilise des initiales pour parler des élèves et parfois elle leur donne des noms ?

-Ouais, j’ai une théorie. C’est ceux qu’elle aime particulièrement à qui elle donne un nom complet.

Et même si j’ai éclaté de rire en entendant cette conversation surréaliste, cela a réveillé l’illusion qu’il y avait peut-être un truc.

Illusion vite balayée.

Il y a ceux qui rêvent d’écrire et ceux qui ferait bien de le faire parce que le monde perd à ne pas les lire.

Sur ces souvenirs qui me rappellent avec soulagement que je n’ai plus 20 ans, je vous souhaite une douce soirée.

P.S: j’ai repris les lectures de l’agrégation, je me tâtais à raconter par épisodes cette nouvelle odyssée, ça tente quelqu’un?

Hors série n°2

cercle-des-poetes-disparus

Hier avait lieu la deuxième rencontre de notre atelier d’écriture. Cette fois-ci le jeu a été corsé puisque nous avons écrit nos textes sur place dans une limite de temps (20 min) et avec une consigne différente. Nous avions une feuille avec plusieurs phrases, la consigne était d’en choisir une et de l’intégrer à une fiction.

J’ai choisi la phrase « Il faut pourtant achever cette lettre » et je vous livre ma contribution.

Il faut pourtant achever cette lettre. Ce n’est pas simple les ruptures. Et puis, c’est lâche d’écrire. Mais comment dire à quelqu’un qu’on ne l’aime plus ? Il faut être un sacré psychopathe pour oser sans ciller, et sous couvert de courage, briser le cœur de quelqu’un en face.

Notez que j’aurais pu envoyer un SMS et vivre avec mon temps.

Je veux bien être lâche mais pas mufle.

Je ne suis qu’un homme.

Il faut pourtant achever cette lettre.

Reprenons :

« Ma douce,

Je crois que je ne t’aime plus. Ces années ensemble ont compté terriblement mais la torpeur dans laquelle notre couple s’est installé depuis ces derniers mois me les font presque oublier…. »

Ma douce, ma douce… ai-je encore le droit de t’appeler ainsi?

Nous n’avons jamais pris le temps de nous écrire et la première lettre que tu recevras de moi sera celle de la fin.

Je n’ai jamais été romantique et tu me l’as souvent reproché. Je ne suis pas certain que tu apprécies l’ironie de la situation ni que tu remarques que le romantisme est noir en réalité.

C’est moche parfois la vie. Si je repense à nos débuts… nous étions si jeunes alors, nous vivions tout si forts. Un geste, un mot et c’était le trouble, l’effusion, la passion. Nous avons tout traversé ensemble. Nous avons connu des chagrins, essuyés des pertes, créer des petits êtres qui aujourd’hui volent de leur propres ailes, … que reste-t-il de nos amours ?

Reprenons

« Mon amour,

Mets ça sur le compte de la crise de la cinquantaine mais je pars. J’aurais pu changer de voiture, me faire pousser de nouveaux cheveux, prendre une maîtresse pour oublier que je vieillis et que toi fatalement aussi. Pour éviter de devenir un cliché ambulant, je pars. »

N’est-ce pas trop abrupt ? Elle va me détester.

Ah ! Il n’est pas aisé de quitter quelqu’un. En plus je vais passer pour le salaud, nos amis vos choisir son parti, elle sera cajolée et moi raillé. C’est le prix à payer.

On ne quitte que comme on a aimé. Les ruptures douces sont celles des couples sans amour. Mais nous qui nous aimions si fort, qui ne vivions que l’un pour l’autre, il est impossible que cela se passe en douceur. Tu en serais bien incapable. La douceur induit la nuance et tous tes choix n’ont été que folie du moment, impulsion, colère. Tu aimes ou tu déteste. Tu m’as aimé donc…

C’est pour ça que je t’écris. Je ne supporterai pas de subir le négatif de tout ce que tu m’as donné.

Je ne suis qu’un homme.

Il faut pourtant achever cette lettre…