« Alors pourquoi laisser ce sublime silence se briser aujourd’hui? »

C’est le texte que je me refuse à écrire depuis deux mois. Et pourtant, j’ai besoin de te l’écrire pour sortir de cet état de stase.

Je sens déjà que ça va être un bazar infini mais au moins tu auras un nouvel aperçu de ce qui se cache dans mon cerveau malade.

Tous ceux que j’ai côtoyés cette année m’ont entendue répéter en boucle la même phrase:

-Je peux pas, je dois réviser…

Et cette année,j’ai beaucoup révisé et j’ai fait des grosses, très grosses fiches de lecture.

J’ai repris le chemin de l’université, j’ai acheté des livres prescrits par un Bulletin Officiel, j’ai mis des cartouches d’encre dans mon stylo, un sac à dos et des baskets.

-Tu ne crois pas que je fais trop vieille dans ce décor de fac ?

-Mais non… on dirait que tu as toujours 20 ans, tu es une éternelle étudiante.

J’ai préparé l’Agrégation.

Comme beaucoup de profs chaque année.

Ce concours… C’est compliqué, très compliqué lui et moi. Une vieille histoire…Je m’étais d’ailleurs dit que je n’y retournerai plus jamais.

Et puis le programme est sorti et c’était comme une évidence. Cyrano de Bergerac, La Nouvelle Héloïse, Les Regrets. A passer une année de préparation, il valait mieux que la compagnie soit douce.

Avec ces œuvres, la vie me disait tout bas « Mais vas y, tu vas voir. »

Et ça a été difficile et violent et stimulant et riche.

Les crises d’angoisse ont fait un come back plus inattendu que celui de Kyo. J’ai lu beaucoup, écrit des heures, mais pas ici. Peu dormi et pris du poids. J’ai passé ma journée du 24 décembre à tenter de comprendre en quoi la bataille entre les Anciens et les Modernes avait influencé l’écriture des contes de fées, ma journée du 31 à rédiger un devoir de didactique et à pleurer sur ma note à 2h du matin, une fois les invités partis, parce que ce salaud de correcteur du Cned l’avait déjà corrigée et m’avait assassinée en commentaire. J’ai eu une cystite bactérienne qui a duré 6 mois. J’ai perdu deux bébés dont un à quelques semaines de monter à Paris pour les oraux, j’ai pleuré pendant des jours. Puis, j’ai pleuré de joie quand j’ai été admissible et fait des bonds quand mon professeur d’université vénéré m’a écrit pour me féliciter parce qu’il avait vu les résultats. J’ai passé des oraux devant les plus grosses têtes de l’université française. Je n’ai vu presque que ma famille proche pendant 9 mois, j’ai assisté à des visio de grammaire dans ma voiture en rentrant du collège, j’avais 3 heures sup et j’étais PP de 3e, j’ai rougi jusqu’à ne plus pouvoir dormir quand un de mes professeurs m’a demandée l’autorisation de lire mon devoir au cours du lendemain. J’ai aimé et détesté cette année à part égale.

J’ai passé la quasi totalité de mes séances de psy à dire « Je vais mourir avant les écrits, c’est sûr. Il n’y a vraiment personne pour comprendre que je vais crever !!!! »

Puis:

« Je suis admissible, c’est une catastrophe ! Cette fois, je le sais je le sens, je suis en danger de mort. »

Et quand le Sphinx me demandait ce qui pouvait bien m’arriver de si horrible et que je lui répondais « Mais je vais rater. je vais me planter. C’est pas pour moi ce concours ! Et quand je me planterai, alors tout le monde saura que je suis une sacrée imposture ! Je ne sais pas ce qui est le plus terrible: entendre quelqu’un me dire que c’est certain, je vais l’avoir ou savoir au fond de moi que je ne l’aurai jamais.

-Mais vous ? Qu’est-ce que ça dit de vous ?

– Ça dira la vérité… Vous ne comprenez pas. C’est la première fois que je prépare ce concours. Je veux dire vraiment préparer. Pas juste acheter les livres et aller passer les écrits en croyant à un miracle. Chaque fois que je me suis inscrite, j’usais de toutes les stratégies d’évitement pour ne pas travailler et pour avoir une bonne raison de la rater ! Puisque je ne travaillais pas, ça ne pouvait pas venir de moi. Mais là, je fais tout pour l’avoir… si je rate alors, qu’est ce que ça dira de moi ?

-Je crois que vous êtes très préparée à la rater au contraire, au point même que vous avez sans doute encore plus d’angoisses à l’idée de réussir.

Ils ne sont pas nombreux ceux qui arrivent à me fermer mon grand caquet. Mais ce soir-là, je me suis tue un long moment et j’ai entendu cette phrase tourner en boucle dans ma tête.

Alors je me suis mise à y croire et à me dire chaque matin devant le miroir que c’était mon année, que j’allais l’avoir, que l’univers me devait bien ça.

Et alors ?

Et alors je l’ai ratée.

Ce n’était pas encore mon année.

Et puis je leur ai dit, à eux, là, mes grands enfants qui y croyaient durs comme fer parce que « c’est obligé Madame, vous connaissez tous les mots ! »

-Alors Madame votre concours ? Vous êtes allée à Paris ?

-J’ai été à Paris. Et je n’ai pas réussi..

-Ah bon ? Mais vous allez faire quoi ?

-Ben recommencer.

-Quoi, encore ? Vous devez tout refaire ? Flemme, non ?

– Franchement grande flemme même. Néanmoins (j’adore leur balancer des petits néanmoins qu’ils ne voient pas venir), il y a des rêves pour lesquels il faut se battre très fort et pleurer parfois.

Alors j’ai acheté les nouveaux livres prescrits par le bulletin officiel et remis de l’encre dans mon stylo.

Je n’ai pas encore réussi à m’y remettre, l’année m’ayant laissé dans un certain épuisement. Je ne suis pas en avance d’après ce que je vois sur les différents forums mais ma foi, si j’ai appris quelque chose cette année c’est à suivre ma propre temporalité et à me faire confiance même si je n’ai pas pris d’arrêt maladie pour réviser, même si je n’ai pas fait moins d’heures de cours, même si je n’ai pas de congé de formation.

Elle était là,tu sais, à portée de main.

Sauf que ce n’était pas encore mon année.


Mais quelle année malgré tout.

Deux mois à ressasser, deux mois à geindre et à être amère, à chercher ce que la vie me voulait.

Et puis, j’ai compris.

Et si je choisissais de déposer ici l’amertume et la colère et que je tentais de me rappeler les yeux de mon fils quand il a appris que j’étais admissible, les cours de grammaire de cet extravagant professeur si passionnants et drôles, les mots d’amour, les paroles de soutien, les messages d’encouragements et Cyrano, et Julie qui écrit à Saint Preux et les poèmes de la Renaissance et les vérités que seules la littérature peut offrir.

Au bout du compte, il y aura toujours la littérature.

Et qui sait ce que la vie nous réserve ?

Lâcher prise 

Il a fallu du temps pour se l’avouer, du temps pour le verbaliser: ce n’est pas possible.

J’ai beau avoir un désir ardent à l’intérieur, je n’y arrive pas. 

J’ai beau essayer de me poser pour lire, de prendre quelques heures pour ficher un cours, rien n’y fait. 

L’agrégation. Ce précieux concours dont beaucoup de profs rêvent, ce sésame obtenu à la sueur de son cerveau et au prix de nombreux sacrifices. Je ne l’aurais pas cette année. Je ne l’aurais peut être jamais. 

Je la veux pourtant, elle est au sommet de ma liste de rêves. 

Mais dans l’état actuel de ma vie ce n’est pas possible et il va bien falloir l’accepter.

Sur deux établissement à plus de 40 minutes de chez moi, avec trois niveaux de collèges, un petit en bas âge et une vie de famille à maintenir. Je n’y arrive pas.

Je ne me fais pas à l’idée de bâcler mon travail, je dois encore construire mes séquences pour me conformer aux nouveaux programmes. 

Je ne me fais pas à l’idée d’accorder moins de temps à mon bébé, à faire manger du Picard à mon mari. 

Je n’arrive pas à me dire que je ne dormirai que 4 heures parce que je n’ai du calme que la nuit.

Je ne peux pas me dire que je vais encore aller passer 6 épreuves écrites dont deux dissertations de 7 heures pour rien, pour y croire malgré tout et être déçue ensuite, se remettre en question gratuitement sur ses capacités intellectuelles, sur ses capacités d’enseignantes même. Se dire qu’on est médiocre.

Ma charge mentale à moi c’est ce concours. Ce ne sont pas les lessives, les courses ou le ménage. Ce n’est pas mon mari. Ce n’est pas mon bébé. Ce n’est même pas mon travail.

Ma charge mentale c’est cette voix dans ma tête quand je joue avec mon petit garçon  qui me dit que je devrais aller m’asseoir pour bosser puisqu’il est calme et tranquille, quand je suis en ville avec ma mère, quand je regarde un film blottie dans les bras de mon mari. Ma charge mentale c’est cette pile de polycopiés et de livres qui ne cessent de s’accumuler sans jamais être ouverte. Ma charge mentale c’est être écroulée de fatigue à 21h sur le canapé et avoir envie de pleurer parce qu’on s’endort une page seulement après avoir ouvert L’éducation sentimentale pour la première fois de la semaine.

Alors pour la nouvelle année je me fais ce cadeau. Je m’ôte ce poids.

J’accepte que je ne suis pas Wonder woman, que dans ces conditions je ne peux pas passer l’agrégation externe de lettres modernes. 

J’essaye de me dire que je n’abandonne pas facilement, que je ne suis pas lâche. 

J’essaye d’oublier cet adage idiot qui répète « celui qui abandonne une fois abandonne toute sa vie » parce que je suis la preuve vivante du contraire.

Je pense à l’avenir, au moment de ma vie où les étoiles seront alignées pour que j’ai le temps, l’énergie et aussi l’ancienneté pour passer le concours interne.

J’essaye de ne pas penser à mes parents qui croient si fort en moi qu’ils sont persuadés que je peux gravir des montagnes à la seule force de ma volonté. Aux yeux de ma soeur si fière quand je lui dis que j’y retourne encore.

Ce n’est pas grave pourtant. Rien dans ma vie que j’aime si fort ne changera après cette décision. Je continuerai à faire du mieux que je peux, à ne pas travailler ce concours, à ne pas lire un programme imposé, à écrire sur mon temps libre et à aimer mon fils et mon mari de toute mon âme tout en ne voyant pas l’once d’une déception dans leurs yeux.

Je ne dis pas adieu à ce rêve que j’ai vissé au corps. Je le refuse. Je le reporte et je prie pour que la vie me gâte encore comme elle l’a si souvent fait.

Et pourtant je pleure un peu… 

 

Série Agrég #1

Cette semaine, c’est les écrits de l’agrég externe ce qui fait qu’au lieu d’aller retrouver mes petits élèves, j’ai remis ma casquette d’étudiante et je me retrouve devant le centre d’examen tous les matins depuis lundi.

Je pense que je vais avoir besoin d’exorciser un peu tellement une semaine comme celle-là est intense en émotions ! Ceux qui me connaissent savent par quoi mon cerveau torturé peut passer dans ces moments-là. Aller passer l’agrég, ou n’importe quel concours que l’on a passé plus d’une fois c’est un mélange de nouveautés et de vieilles impressions.

Aujourd’hui j’ai eu envie de dresser une petite typologie des candidats que l’on peut croiser autour de soi, ils peuvent être stressés, stressants, rassurants, drôles…

Nous sommes attendus 30 minutes avant le début des épreuves, c’est le 3e jour, la 4e épreuve (la mardi en comporte deux) et certains arrivent un peu plus tard chaque fois. C’est là qu’on se demande si la collègue qui était assise devant vous va revenir aujourd’hui. Là voilà qui arrive, vue les cernes sous ses yeux, la nuit a été courte. C’est la « candidate en colère » : « Punaise, j’ai un de ces mal de dos, ça m’a empêché de dormir toute la nuit ! C’est quoi ces chaises ! C’est inadmissible de nous obliger à composer dans de telles conditions ! Il fait froid, les chaises sont trop raides ! C’est inadmissible ! Et puis franchement l’ancien français ! On en parlera jamais aux élèves! Et le latin et l’anglais ? Qu’est-ce que ça vient faire dans un concours de lettres modernes ? » Personnellement, j’ai arrêté de me poser ces questions en espérant qu’un jour les choses changent, c’est trop déprimant.

Assise sur ma chaise depuis plus de 2h, je lève le nez pour regarder autour de moi. Comme il n’est pas possible de faire des pauses Facebook au milieu d’un examen, on s’aère l’esprit comme on peut. A côté de moi, « la reine du brouillon », cela fait trois fois qu’elle demande à la surveillante du rab de papier, elle a déjà gratté plus d’une dizaine de pages de plans, de citations, d’analyses. Au bout de 4h (l’épreuve en dure 7) , elle commence à rédiger. Ce doit être une machine à écrire !

Derrière moi « le Sanibroyeur » ! Entre la toux, les reniflements de nez qui veulent concurrencer la trompette d’une fanfare, les éternuements si discrets que vous bondissez sur votre chaise, vous ne regrettez qu’une chose ne pas avoir de bouchons d’oreille. Bon, elle a un rhume, c’est vrai qu’il fait froid. ça ne peut pas être pire ? Attendez ! elle sort, un paquet de fruits secs qu’elle semble décider à avaler TOUT AU LONG DE L’ÉPREUVE ! Ses dents font plus de bruits qu’une déchiqueteuse et elle respire (ou ronfle ? ) tout ça en même temps ! Au secours.

Le garde-manger, alors ça ça m’épate ! A côté de la table, un énorme tup dans lequel on peut trouver en vrac des gaufres de liège, des barres de céréales, des clubs sandwich, des bonbons, des chewing gums, des madeleines, un bocal de cornichons, un réchaud avec des rations de survie, etc. Bon j’exagère un peu je l’avoue. Pour descendre tout ça il faut s’hydrater, pas moins de trois bouteilles (véridique) : une bouteille d’eau, une bouteille de coca, une bouteille avec un liquide couleur pipi (je n’ai jamais compris ce que les gens buvaient dans ces bouteilles douteuses ). Evidemment, c’est au cas où parce qu’on n’a pas si faim que ça dans ces moments ou on n’a pas le temps. Mais il faut être prévoyant, 7h c’est long quand même.

Chaque année, j’en vois une rentrer : la femme enceinte. Alors elle, je l’admire. Comment supporter la pression dans ces moments-là ? Mais comment tenir avec un bébé dans le ventre ? Quelle force !

Cette année c’est moi la femme enceinte ! Hahaha je peux vous dire que je ne force pas le respect ! Je vais faire pipi toutes les heures, je viens en touriste, je n’ai lu que la moitié des œuvres, bref c’est un coup pour rien. Pas de quoi forcer l’admiration mais c’est quand même sympa de voir le regard de la jeunesse sur mon bedon. Oui, car je suis une vieille désormais, faut s’y faire.