L’ère de la fin de la pensée ?

Je ne sais pas comment vous vous sentez durant cette période mais franchement le contexte actuel me donne envie de souffler dans un sac en papier.

Entre les cas positifs qui explosent de partout, la campagne électorale plus indigeste qu’un plateau d’huîtres avariées, et les dernières mesures de l’Education Nationale…

Et la dernière en date, un colloque financé par l’Education Nationale sur le « deconstructionnisme » (pauvres Derrida qui doit se retourner dans sa tombe) où Jean-Michel Blanquer est venu faire une apparition car l’heure est grave, l’université est en danger, les étudiants commencent à penser les inégalités.

Mais c’est fou d’être accroché à ce point à des privilèges de vieux mecs en pré retraite qui ne supportent pas que le monde change. « Mon dieu, les personnes racisées, les femmes et les LGBTQI+ ne supportent plus d’être discriminés ! c’est un scandale !

Comment peuvent-ils se regarder dans le miroir quand des communications de pseudo intellectuels commencent par « c’est la dictature des minorités ». Mais enfin, l’expression elle-même est un non sens !

Alors historiquement La Sorbonne c’est le haut lieu de l’Eglise et de la censure. Rabelais en avait fait une cible de choix, d’ailleurs, dans ses écrits. Mais sur ce coup-là ils n’ont rien organisé. Les salles sont louées à titre privé. D’ailleurs quand on regarde le menu et les clients, on comprend très bien que Cnews et Le Figaro avait trusté les premiers rangs.

J’aime l’Education Nationale comme tous les profs. Pas la grosse machine de bureaucrates neo libéraux qui à base de théories comportementalistes et de coupes budgétaires ont décidé d’assassiner l’intelligence et la pensée. Mais la mission Education Nationale qui est celle de transmettre des savoirs, d’éveiller l’esprit critique et la curiosité intellectuelle, je n’ai aucun problème à dire que je la sers avec honneur.

Mais bon sang qu’est ce qu’on nous met comme bâtons dans les roues. Et cette réunion de la honte financée par le ministère alors que des élèves doivent se partager des huitièmes d’AESH…

Je suis tellement en colère depuis la rentrée. Entre le protocole version 144, annoncé la veille de la rentrée dans un journal payant, la suppression de toutes les formations (jetant à la poubelle le travail et l’organisation des formateurs accessoirement) et de toutes les prépas au concours (en Visio uniquement et seulement le mercredi après-midi) parce que et c’est écrit noir sur blanc, il n’y a plus de remplaçant et donc les profs doivent rester en poste au maximum, et maintenant ça.

Rien ne va nulle part et tout le monde est là à se bouffer le nez entre vax et anti vax.

Ils ont de beaux jours devant eux, je vous le dis.

« Éblouie par la nuit »

Heureusement, de ce long tunnel débouchent encore quelques lumières.

Je vous invite à choisir avec précaution et esprit critique vos sources d’information et vous laisse avec quelques liens qui m’ont nourrie ces derniers temps:

La philosophe Barbara Stiegler brillante et lucide dont les livres sont à se procurer d’urgence mais dont les interventions se retrouvent à divers endroits, notamment:

https://youtu.be/cIjbLK3w5Ks

https://youtu.be/DKee-NveOFw

L’article de Mediapart sur le colloque de ce week-end :

https://www.mediapart.fr/journal/france/080122/un-vrai-faux-colloque-la-sorbonne-pour-mener-le-proces-du-wokisme

L’article du Monde diplo sur Pronote:

https://www.monde-diplomatique.fr/64241

Je sais que malheureusement certaines sources sont payantes mais soutenir des journaux qui n’appartiennent pas à des grands groupes c’est aussi un engagement.

Bon dimanche et n’oubliez pas, « c’est quand le peuple se met à penser et à s’instruire que les élites contestent la démocratie et entame un virage autoritaire et réactionnaire» Barbara Stiegler.

La question sociale du cheveu bouclé et frisé

Il y a quelques semaines, un de mes élèves, me demande:

« Si je laisse pousser mes cheveux, j’aurais des boucles comme les vôtres? »

J’ai d’abord pensé qu’il se moquait de moi. L’ado en moi n’a pas guéri toutes ses blessures.

« Ben ça dépend… il y a plusieurs types de cheveux bouclés. Mais en effet les tiennes ressemblent aux miennes.

-Ah cool. »

Quand j’étais ado, mes cheveux bouclés n’étaient vraiment pas à la mode. Des idiots m’avaient affublée d’un surnom caricatural d’ailleurs. Ma mère n’a jamais jugé bon de nous les cacher alors qu’elle ne montre que très rarement les siennes. Et de fait, je les ai assez peu lissés dans ma vie. Je crois qu’en y repensant, c’était quand même assez souvent source de commentaires. Mes copines craignaient la pluie comme des gremlins parce qu’elles avaient peur de « friser » alors que tout au plus la racine pouvait mousser. Les dames mettaient les doigts dedans quand j’étais enfant. Souvent quand même revenait la question « c’est comment quand tu les lisses ? » ou la variante « tu devrais les lisser » (avec bonus « fais-toi une frange ça cachera ton front ») La Belle Époque que le collège !

La question de ce garçon m’a d’autant plus surprise que si je regarde mes élèves, les filles, il y a vraiment très peu de cheveux frisés ou bouclés alors qu’elles ont clairement des cheveux frisés, bouclés ou crépus.

A la sonnerie, en attendant que le groupe se mette en rang, je demande à Léna qui arbore toujours un lissage parfait:

-combien de temps tu passes à lisser tes longs cheveux?

-ohhh ça va ! 1 heure à peine !

À côté, Mel me raconte:

-moi ma mère m’a fait un lissage brésilien comme ça je suis tranquille.

Rima est arrivée la dernière fois avec un carré parfaitement lisse alors que la semaine d’avant elle était frisée.

« C’est ma mère. elle m’a dit qu’elle me trouvait plus jolie avec les cheveux lisses. »

Alors que les touffes frisées commencent à arriver chez les garçons, rien à faire, chez les filles c’est brushing et, si on n’a pas la technique, chignon ultra plaqué.

L’historien Pap Ndiaye explique que l’esthétique est sociale.

Les cheveux ne font pas exception. Des coupes Afros aux cascades de boucles brunes, la chevelure est un stigmate social et n’entre pas dans les canons de beauté. Des thèses très sérieuses ont démontré que les modèles de femmes racisées comme Naomi Campbell ont adopté les codes de l’esthétique dominante. Icône noire mais sous condition. Il suffit de regarder Beyonce ou encore Michelle Obama, il n’y a que très récemment qu’elles ont laissé de côté le lissage systématique et avant tout dans un but militant.

Les boucles sont aujourd’hui à la mode à condition qu’elles soient artificielles. Le fer à lisser venant légèrement onduler les longueurs à partir de leur moitié et surtout ne pas oublier de venir délier avec les doigts pour que le tout ne soit pas trop serré.

Bouclés mais à l’occidentale, donc.

Et nos élèves ne font pas exception.

Quelle liberté et quelle réappropriation ce serait pourtant de ne plus modifier sa nature de cheveux au profit de diktats imposés aux filles. Juste pour le plaisir de changer.

Et pour celles et ceux qui voudraient approfondir la question:

https://iepweb2.sciencespo-rennes.fr/bibli_doc/download_ext/182/

Déconstruire les préjugés au collège #1 : la grossophobie

J’écoute beaucoup de podcasts sur tous les sujets mais ceux que je préfère ce sont ceux qui racontent des parcours de vie. Et il y a une sorte de constante macabre dans chacun d’eux : à chaque fois, la personne raconte à quel point ses années de collège ou de lycée ont été difficiles et surtout comment l’institution a échoué à les soutenir et les accompagner.

Et ça me fait trop mal au cœur.

J’essaye de faire très attention à ma pratique, à mes discours et d’aider les élèves à déconstruire des mécanismes dont ils n’ont pas conscience. C’est pourquoi, j’ai eu envie de commencer une série d’articles dont la première thématique sera la grossophobie.

Première étape : balayer devant sa porte. Le constat n’est pas glorieux… je suis grossophobe. Je me soigne.

La grossophobie contrairement à ce que l’étymologie laisse entendre n’a rien à voir avec la peur. C’est une discrimination exercée par l’ensemble de la société envers les personnes obèses. Il y a de grandes chances que vous le soyez aussi. «Et ben elle va pas mourir de faim ! » « Sortir avec un short pareil avec ces cuisses…. Oula ».

C’est à mon sens la discrimination la plus universellement admise et la moins remise en cause. Elle se traduit par des regards pesants, des jugements de valeur sur l’alimentation, la pratique sportive ou non sportive, le mode de vie, des propos déplacés, des insultes, un isolement, du harcèlement. Cela a des conséquences sociales graves : chômage, dépression, tentatives de suicide…

Je suis tombée sur un documentaire Arte qui s’appelle « On achève bien les gros » et qui était édifiant. J’ai acheté dans la foulée l’essai de Gabrielle Deydier On ne naît pas grosse. J’ai appris qu’il y avait un enjeu politique et sociétal à lutter contre la grossophobie et si ça vous intéresse je vous conseille de vous tourner vers « Gras Politique » et de lire ce que Daria Marx a écrit sur le sujet.

Aujourd’hui, je sais et je ne peux plus faire comme avant. Sauf que ce n’est pas si simple, sauf que je dis encore des choses que je ne devrais pas dire, que mon regard s’attarde là où il ne devrait pas. Cela prend du temps de sortir de la matrice.

Ce que je vous raconte là c’est ce qui se passe dans un monde d’adultes. Imaginez dans un monde d’enfants.

Mon fils a cinq ans et le jour de la rentrée il m’a dit « Elle est gentille ma maîtresse. Ma copine Alice a dit une vilaine chose. Elle a dit que la maîtresse avait un gros ventre. » Léon sait que ce n’est pas gentil de dire cela parce qu’il a fallu lui apprendre à 3 ans que parler de la taille ou du poids d’une personne était mal venu. Et ça n’a pas été évident. Il avait déjà intégré qu’une personne grosse était hors norme. Et pourtant, ses parents font attention à ne pas reproduire les schémas. Nous ne sommes pas des modèles et nous avons forcément commis des erreurs.

Mais c’est un fait, dès la maternelle, les enfants comprennent l’importance de l’apparence physique de notre société et leur appréciation d’une personne passe par là. « Elle est gentille mais elle est grosse. »

Sur une classe de 25 collégiens, il y a une proportion d’environ 2 élèves en surpoids important. Certains feront une poussée de croissance et rejoindront la norme. D’autres vont réussir à jouer de leur apparence avec force et humour. Face cachée de l’iceberg ; au fond combien de larmes se cachent derrière l’auto dérision ? D’autres seront isolés. Dans le meilleur des cas. Dans les pires situations ils subiront les moqueries, les insultes sur les réseaux sociaux ou dans la cour, les coups.

Le collégien obéit à la loi du groupe. C’est une puissance qui peut être extrêmement mortifère. Un élève sera l’alpha et dictera sa loi au reste du groupe qui ne la questionnera à aucun moment et qui fera tout pour rester intégré. Surtout ne pas être rejeté. Existe-t-il des alphas capables d’être une puissance bienveillante qui pousserait à la tolérance ? Personnellement, je n’en ai jamais connu.

Il y a deux ans, un de mes élèves de quatrième était surnommé « le gros » par ses copains. Il ne semblait pas mal le vivre, il n’était pas seul et avait plein d’amis. Une fois, le texte étudié faisait mention d’un personnage à l’appétit gargantuesque

« Haha toi aussi tu dévores comme l’ogre, hein ? Hein ? 

-Je peux savoir pourquoi tu te permets de lui parler comme ça ?

-Bah c’est rien ça Madame ! C’est pour rigoler ! »

« C’est pour rigoler. » A les entendre, les mômes se roulent de rire du matin au soir. Ils doivent tous être sous Ventoline tellement ils se bidonnent. Ah vous ne saviez pas que les coups, les insultes et les remarques déplacées étaient la base de l’humour à l’école ? Pour eux, c’est imparable comme argument. Et moi, ça me fait disjoncter.

-Qu’est-ce qu’il y a de drôle exactement ? Je n’ai pas compris ta blague. Tu m’expliques ?

-Mais si, Madame, vous voyez bien.

-Non je ne vois pas. Vas-y, développe.

-Ben, l’ogre il mange beaucoup… et Tariq ben…

Et pas besoin d’aller beaucoup plus loin. Si le gamin n’est pas trop bête, il a compris qu’il n’y avait pas de quoi rire. Parfois, on parle à des murs. Alors le rappel à la règle, à la loi, au droit d’aller à l’école sereinement et sans être la cible de quolibet. La sanction est importante également. Si les comportements discriminants sont si répandus c’est qu’ils bénéficient d’une impunité sous couvert de « ouiiiii mais ce sont des enfants. » Sans doute. Mais les victimes sont des enfants aussi. Et les adultes deviennent les complices en permettant que cela se répandent.

En tant qu’adulte nous avons un rôle fondamental à jouer. Prendre conscience de nos propres failles et devenir de meilleurs modèles en la matière. Sortir des préjugés, s’ouvrir aux autres au-delà des apparences, réaliser qu’on ne connaît rien de l’histoire des gens, qu’on ne sait pas contre quoi ils luttent au quotidien. Surveiller sa parole et reprendre ses enfants.

Enfin, arrêtons de prendre les enfants pour des bébés qui ne savent pas ce qu’ils font. Apprendre que les actes et les paroles ont des conséquences, ça ne commence pas à 18 ans.

Je vous encourage à lire le livre de Gabrielle Deydier qui est très concis et très intéressant. J’espère continuer de faire évoluer ma pratique et mon regard dans le bon sens. Et si je peux entraîner du monde avec moi, alors tout est possible.