Le temps doux-amer des mutations

-Tu as fait une demande de mut’?

-Oui… mais je regrette… j’espère que je n’aurai rien franchement.

-Hein ?! Mais pourquoi t’as demandé alors ? Tu sais, c’est comme ça qu’on finit par l’avoir !

-Oui… mais c’était la fin de l’hiver, j’étais rincée, j’avais froid… tout ça quoi !

-Génial, Ju. J’espère que tu ne prends pas trop de décisions pour ta vie en hiver du coup !

Il est là, il est venu: le temps des mutations. Les résultats sont tombés et il va encore falloir terminer cette année par des « au revoir ».

Mais ce n’est pas moi qui part.

Et comme je suis soulagée.

Je travaille toujours aussi loin de chez moi, même plus loin depuis que je me suis excentrée mais ce n’est pas sans raison que j’ai sacrifié mon pécule de points il y a trois ans.

Ce collège, cette équipe, ces élèves…

Je l’ai déjà écrit mais il m’a happée d’emblée par son énergie, son entrain; c’était très particulier.

Alors que j’avais passé l’été à pleurer parce que j’étais affectée toujours plus loin, qu’il fallait reprendre l’A9 tous les jours, retourner dans la ville avec un accent cauchemar de mon hypokhâgne: j’y suis restée. J’ai vu mes racines repoussé alors que je m’étais sentie, il est vrai, violemment arrachée de la ville aux remparts.

Un poste s’est ouvert grâce à la volonté du Chef d’établissement (je sais qu’il passe par ici, je l’en remercie encore) il y a deux ans et je l’ai obtenu avec un PEL Education Nationale de 1200 points. J’avais alors fait tapis.

Mais il est à 65kms. C’est loin tout de même. J’ai passé 6 heures sur la route pour rentrer lors des inondations d’octobre la peur au ventre, je suis loin quand mon fils a besoin de moi ou même l’un de mes proches, je me lève tôt, trop tôt et j’ai développé un curieux attachement à ma voiture, sas de décompression de la journée.

MAIS….

Que voulez-vous ?

Il y a les sourires chaque matin au café, les « Madaaaamme j’adore votre robe aujourd’hui ! », la belle blonde avec qui je mange tous les jours bien qu’on ne puisse plus covoiturer, la prof de math la plus douce de la terre, la copine prof d’Espagnol qui veut nous donner des cours pour qu’on puisse communiquer autrement qu’en Franglais avec nos élèves étrangers, les anciens qui ont tout vu et qui se font encore surprendre, la fatigue et l’usure de l’éducation prioritaire… Si je les listais un par un, il me faudrait des pages et des pages. Chacun sait ce qu’il représente pour moi. L’avantage d’être un livre ouvert sans doute.

Il y a cette salle de concertation où l’on se plaint, où l’on innove, que l’on tente d’éviter aussi pour s’échapper un poil plus tôt, où on entend des « Bon, je suis pas hyper pour mais dans tous les cas je vous suis. »

C’est une deuxième maison, une autre famille.

Et puis, il y a ceux qui vont partir et qui en sont heureux. Alors se réjouir malgré le chagrin. C’est cela, aimer. Accepter que le bonheur de quelqu’un puisse se faire à vos dépens et vous effacer pour laisser de la place à ce qui doit éclore.

Mais je n’ai jamais été douée pour les au revoir.

Je sais que tu es toujours là mais tu laisses un grand vide.

Just kids

La semaine dernière, j’ai découvert que le finaliste pour la meilleure baguette de France était à 3 kms de chez moi. Et c’est en arrivant que je me suis aperçue que c’était en face du collège où j’ai fait mon année de stage.

Pour les non initiés, quand vous obtenez votre concours dans la fonction publique, vous êtes « fonctionnaire stagiaire ». En tant que prof, ça veut dire que vous passez une année en formation et en service à l’issue de laquelle l’inspecteur.ice (oui, je tente l’écriture inclusive, c’est pas que j’aime ça mais on en parlera à un autre moment) ou assimilé vient vous titulariser.

Je ne vais pas parler du concours, encore qu’il y aurait des choses à dire en ce moment.

J’ai plutôt envie de parler de mon premier jour. Mon tout premier jour de prof certifiée.

Sur le chemin de la boulangerie, en reconnaissant le cimetière à droite du chemin puis la halle des sports, j’ai été traversée par des visions et des sensations.

C’est fascinant la mémoire, c’est présent dans tout le corps.

Je revois ma main ouvrir la serrure de la classe. Les élèves étaient rangés. Ils étaient calmes et moi, terrifiée. Je me rappelle m’être dit « ne montre pas que ta main tremble ».

Quand ils sont rentrés, ils sont restés debout à attendre que je les autorise à s’asseoir.

Et je me suis dit: «c’est fou ! il suffit que je parle pour qu’ils s’exécutent. » et j’ai dû sourire en pensant aux possibilités qu’un tel pouvoir offrait.

Au volant, je sens à nouveau mon cœur qui bat.

Il fallait alors monter sur scène et dire son texte. Ils ne le savaient pas, eux, que je ne savais pas quoi faire. Parler, ne pas bafouiller et avoir l’air sûre de soi.

Ça, ça n’a pas changé. J’ai toujours l’impression d’être en représentation. C’est un public d’autant plus difficile qu’ils n’a pas acheté ses places.

-Bonjour, je suis Mme T. Et je serai votre professeure de français.

C’est un des moments de l’existence où je me suis sentie absolument dans l’instant présent. J’étais où j’avais toujours rêvé d’être, malgré les virages et les ressacs de l’existence. Et j’y étais bien.

J’avais un autre nom alors et avant eux, je n’y prêtais aucune importance. Mme T c’était ma mère, pas moi. C’est un peu comme si c’était eux qui m’avaient baptisée. Avec leur « Madaaaammmeee T. » qui traîne et qui trahit l’appel à l’aide.

Et quand plus tard, j’ai changé de nom, ça a été dur de l’abandonner jusqu’à ce que dans leur bouche, de nouveau, je me retrouve.

Je n’ai plus jamais enseigné dans ce collège et je n’y retournerai sans doute jamais. J’ai pleuré en partant et j’ai pesté dur contre le système des mutations.

J’ai pourtant toujours eu de belles surprises.

J’ai pleuré en quittant chaque bahut et j’ai pesté toujours plus dur ces longues années de TZR.

Et puis, c’est devenu trop difficile de devoir partir alors, là encore, la vie a fait en sorte de me poser.

Et j’ai enfin pu rester.

C’est les boules

Aller encore une année à ne pas obtenir de mutation !

J’ai plein d’histoires à raconter sur les élèves et je n’ai pas le temps de le faire parce que les fin d’années sont chargées, paradoxalement.

Mais je suis tellement en colère et triste qu’il faut bien que ça sorte.

Alors tant pis, bienvenue dans mon dépotoir à bile noire.

Cela fait 3 ans que je suis TZR. Cette année j’aurais dû toucher une bonification pour me « stabiliser » mais le rectorat a décidé que 3ans ce n’était pas assez précaire alors ils ont repoussé.

Cela fait 3 ans que je dois aller travailler dans un autre département que le mien. Que je suis sur deux collèges et jamais 2 années de suite les mêmes.

En tout j’ai vu 6 équipes différentes avec lesquelles j’essaye de créer un peu de lien.

Chaque année je m’attache à des élèves que je ne verrai jamais grandir.

Chaque année mes chefs d’établissement me disent « on vous aurait bien gardé mais on ne peut rien faire. C’est bien dommage »

Et j’ai tellement les boules.

Pardon, mais je n’attends pas une mutation pour changer d’établissement, comme tous mes collègues tzr, j’attends juste d’en avoir un !

Et c’est pesant.

Chaque année vous apprenez courant juillet où vous serez l’année suivante. En général les établissement sont fermés. Des fois on ne vous informe qu’à la rentrée. C’est pas comme si ça se préparait une année scolaire.

Chaque année je vois des contractuels avoir des postes à côté de chez moi. Pardon, les collègues, votre situation n’est pas enviable, mais même ça, ça nous fout les boules…

Bref je serai encore un « bloc de moyen provisoire », je vais encore boucher les trous de l’éducation nationale car je ne suis visiblement que ça. Je ne suis personne pour le rectorat, je suis le tzr 11E…. 18h à caser. Je serai encore sur l’autoroute toute la semaine à parcourir un autre département.

Et quand je vois les barres d’entrée sur poste fixe je me dis que je n’ai pas fini de galérer.

Alors je dédie ce post à tous les collègues sans établissement fixe, à ceux qui récupèrent toujours les classes et les niveaux que personne ne veut, ceux à qui on peut confier 3 ou 4 niveaux sans se poser de questions, ceux qui se demandent encore comment certains collègues accumulent 800 points, ceux qui voient toujours tout le monde passer devant (vacataire, reconversions, changement de disciplines, malades, famille nombreuses, séparés,…) ceux qui entendent les collègues se plaidnre parce que « pfiou j’ai pas eu mon mercredi » alors que vous courez d’un bahut à l’autre sur votre pause déjeuner…

A nous les bouche trous !

le courant d’air

Comme tous les profs sur plusieurs établissements, je suis un courant d’air. Dès que j’ai fini quelque part je pars vite pour ailleurs. Ça peut sembler joli dit comme ça mais franchement il n’y a rien de poétique là dedans.

Je suis ce qu’on appelle un BMP de discipline, je ne sais même pas ce que veut dire ce sigle ignoble mais en gros, je suis le bouche trou de service.

Dans un des collèges, je ne suis tellement personne que mes identifiants Pronote sont « BMP lettres modernes ». Mais c’est comme ça pour tous mes collègues TZR et contractuels: « BMP anglais », « BMP lettres classiques », « BMP espagnol ». Nous voilà rassurés! L’humanité n’a pas encore trouvé la limite de sa bêtise. Ils auraient pu aussi bien mettre notre NUMEN (matricule de l’éducation nationale) ça n’aurait pas été plus subtil.

Dans mon collège de REP+ je ne suis affectée que pour 4.5 heures et,eux, ils ont été très gentils avec moi. Ils ont regroupé mes heures sur deux matinées et jamais à 8h parce que je viens de loin. En plus, ils ont mis mon nom partout même sur Pronote. Je ne sais pas si c’est une impression mais j’ai l’impression que plus le collège est difficile et plus on est attentionné avec les enseignants et, vue qui on peut croiser parfois dans les bureaux de la direction parfois, ce n’est pas désagréable.

Mais en ne venant que deux matinées on ne croise l’équipe qu’aux récréations et ce n’est pas très long les récréations et pas toujours très peuplées, surtout le mercredi et le vendredi.

Alors comme hier j’avais conseil de classe à 18h dans Collège 2 et que je terminais à 15h dans Collège 1, je me suis dit que j’allais rattraper mon retard social.

Arrivée à 15h30, c’était la récré et là j’ai eu la super surprise de retrouver une collègue que je n’avais pas vu depuis bien trop longtemps et qui avait fait son stage de master avec moi.

J’allais rattraper mon retard en deux temps trois mouvements, pensai-je naïvement.

Et puis la fin de la récré a sonné et les profs sont partis pour leur dernière heure de cours de la journée.

La salle des profs bruyante est devenue déserte. Je me suis retrouvée toute seule.

Bon, je me mets au travail, j’en profite pour peaufiner les dernières séances, corriger quelques copies.

16h30 fin des cours.

Les collègues ne vont quand même pas rentrer alors que le conseil est dans 1h30 !

Et bien, sachez qu’il n’y a eu personne. Le bâtiment entier est resté vide ! J’étais flippée. Je me suis dit que j’allais passer la nuit ici, qu’on allait m’enfermer en ne soupçonnant même pas mon existence.

Un collège vide c’est comme basculer dans l’Upside Down (amateur de Stanger Things bonjour), c’est glauque à mort.

A tel point que j’ai pris toutes mes affaires et que je suis allée patienter devant la salle du conseil de classe assise par terre pendant 45 minutes. Au moins, le couloir était éclairé et j’entendais des voix.

On repassera pour la sociabilité.