Où on s’essouffle

« Non non madame pas de classe virtuelle supplémentaire, c’est gentil mais ça va. »

Ils sont mignons.

A bout, mais mignons.

La vogue des classes à distance a conquis quasiment tous les profs du collège, ils se retrouvent à parler via leur écran quasiment 10 heures par semaine.

C’était sympa mais ça a assez duré. Et comme je les comprends!

Ils ont besoin de sortir de chez eux, de revenir à l’école parce qu’à l’école il y a des gens avec qui tu ne vis pas ! Et ça c’est vachement bien !

Et eux, ils n’ont pas peur de reprendre, à moitié inconscients des risques et à moitié conscients que ce n’est pas eux qui ont le plus à craindre.

Ils entendent et lisent des choses sans trop comprendre, certain paniqués à l’idée que la mort semble rôder, d’autres se demandant quand les foots entre copains pourront reprendre.

Il me tarde à moi aussi le 11 mai pour aller travailler.

Je ne sais pas comment ce sera, je ne peux pas dire que je sois sereine mais globalement je n’ai pas peur pour moi. Je n’ai pas envie de tomber malade, je n’ai pas envie que ceux qui vivent avec moi le soient. Mais l’idée de retourner au collège, même dans ces conditions, ne m’angoisse pas. Je nous fais confiance pour assurer les bonnes conditions d’accueil et rassurer nos mômes qui pourraient aussi entendre parler d’autre chose que du nombre de morts en 24h. Je sais que je ne suis pas majoritaire dans ce cas-là. Je ne suis pas une personne à risque, je suis jeune même si je le suis fatalement un peu moins chaque année, je n’ai pas de personne fragile sous mon toit. Je n’ai aucune prétention à convaincre qui que ce soit. Je veux juste exprimer mon ressenti et parvenir à prendre du recul dessus.

Je ne suis pas plus rassurée de laisser ma liberté et mon autonomie entre les mains du monde scientifique ou politique. Je n’aime pas être infantilisée. J’ai bien plus peur de ce que les ordonnances votées en état d’urgence, les applications de tracking, le climat de psychose annoncent pour notre avenir que du covid-19. Je ne dis pas que j’ai raison et je ne dis pas que les autres ont tort de craindre le pire.

En revanche, je crains que les gens sacrifient leur liberté au prix de leur sécurité.

C’est la fable du chien et du loup.

Cette maladie nouvelle et meurtrière a le mérite de nous mettre le nez dans la fosse à purin. Notre monde est violent, l’époque dans laquelle on vit, plutôt dégueulasse à bien des égards. Partout sur les réseaux sociaux, le grand éveil de la société est annoncé.

Mais dans la réalité, que se passe-t-il ? Des gens dénoncent leurs voisins parce qu’ils reçoivent du monde, des policiers mettent des amendes à des types venus acheter des protections hygiéniques à leur copine sous prétexte que ce n’est pas pour eux, et quand Mc Do rouvre un drive il y a 3 heures de queue pour un hamburger.

Quelque chose me dit que le grand changement n’est pas pour tout de suite et que certains cyniques qui nous dirigent sauront, eux, faire quelque chose de cela.

Soyons prudents, pour nous, pour ceux que nous aimons mais ne nous laissons pas récupérer par les vendeurs de rêves ou par le tout sécuritaire.

On va me dire, et à juste titre, oui mais en retournant en cours le 11 mai tu sais bien que tu ne sers que les intérêts de ceux que tu dénonces. Tu vas faire la nounou gratis pour que leur parent retournent travailler et que la machine économique reprennent. C’est l’intérêt du capitalisme au détriment de la santé. Sans doute.

Cela étant, je n’ai jamais pensé que faire mon métier consistait à faire la nounou même si d’autres le pensent pour moi. Je me pense responsable et éduquée, pas stupide ni inconséquente. Je suis capable de travailler au même titre que ceux qui n’ont jamais cessé de le faire et à qui on n’a pas demander leur avis. Je suis heureuse qu’on semble me laisser le choix.

Ma vision des choses est simple, peut-être simpliste. On va vivre avec ce truc encore un paquet de temps et tant qu’il n’y aura ni remède ni vaccin, on est coincé. Nous mettre sous cloche aura servi à vider les hôpitaux pas à nous guérir ni à nous immuniser. Je ne veux pas arrêter de vivre parce que j’ai peur. Il va falloir sortir. Peut-être tomber malade et peut-être que je vais mourir. qu’en sais-je ? Il y a tellement de façons de mourir plus injustes les unes que les autres !

Bon, je vous écris tout ça, consciente de ne pas être très objective… influencée sans doute par ce petit homme de 94 cm qui m’hurle pour la quatrième fois aujourd’hui:

« Et ben puisque t’as gagné, je jouerai plus jamais avec toi aux 7 familles, t’es trop méchante! »

Il faut que je retourne au collège !!!

Courrier des lecteurs

Hier, j’avais proposé une classe virtuelle facultative à mes élèves. Rien de très formel, une petite demi-heure pour voir comment ils vont, pour s’occuper ou s’ennuyer ensemble. Ils étaient une grosse douzaine en 4e, ce qui est pas mal (25 en classe entière); et puis au moment de nous dire au revoir, un des garçon me demande s’il peut me demander quelque chose en message privé.

Déjà, je ne savais même pas qu’il était possible d’envoyer des messages privés via la classe virtuelle. Mais bon, dès l’apparition des avatars de San Goku en face de leur nom j’avais compris qu’ils maîtrisaient l’engin mieux que moi.

Donc voilà le message reçu:

« Madame, ma copine m’écrit. Elle veut m’embrasser et je ne sais pas quoi faire. Qu’est-ce que je dois répondre? »

Alors celle-là je ne l’ai pas vu arriver.

-Attends je suis tombée de mon lit, je me relève et je te réponds (oui j’anime les CV sur mon lit, eux ils sont en pyjama c’est juste une question de raccord), aurais-je aimé lui répondre.

-Madame, vous avez reçu ? me demande-t-il en audio

-oui, oui.

Donc j’ai 3 sec pour décider de ce que je dis. J’ai un gamin issu d’un quartier sensible qui a 14 ans et qui est amoureux. Il vient d’une famille musulmane dont l’éducation amoureuse est plutôt taboue, même chez les garçons. Je pense que ces copains ont manqué de sensibilité et le pauvre en est réduit à poser la question à son prof principal via une classe virtuelle.

-Bon, je ne suis pas sûre d’être la mieux placée pour te répondre. Mais, toi, tu as envie de l’embrasser ?

-Ben ouais ! mais je comprends pas.

-Tu ne comprends pas quoi ?

-Ben c’est une fille. Pourquoi elle me demande ça ? C’est au garçon de le faire.

Ne perdons pas une occasion de glisser une petite leçon de féminisme.

-Parce que c’est une fille elle doit soit attendre toute sa vie qu’on l’embrasse soit se faire embrasser quand elle ne veut pas ?

-Ben non…

-Donc problème réglé ?

-Ouai super Madame ! Je vous raconterai ! Je déco !

Ne te sens pas obligé va !

 

 

la France a un incroyable parent

Un mot pour les parents d’élève aujourd’hui:

Non, vous ne faites pas n’importe quoi, vous faites comme vous pouvez et c’est déjà bien.

C’est normal de vous disputer chaque matin avec eux. Ils ont le droit de vous dire à vous que vous leur cassez les pieds sans risquer une heure de colle ou un rapport.

Ils ne vous diront jamais « merci » pour le temps passé et l’énergie dépensée, ça ne veut pas dire qu’ils ne le pensent pas.

C’est sûrement plus dur d’admettre à son parent qu’on n’y arrive pas qu’à son prof parce qu’il n’y en a qu’un des deux qu’on prend le risque de décevoir.

Avouez que vous n’y arrivez pas en maths, physique, histoire ou que sais-je encore parce que ça ne vous rabaissera pas à leurs yeux mais ça les rassurera sur leur estime d’eux-mêmes.

Rassurez vous, ils ne sont pas du matin avec nous non plus, ils ne sont pas du midi parce qu’ils ont faim, pas du début d’après-midi parce qu’ils digèrent et pas du soir parce qu’ils sont fatigués.

N’oubliez jamais que la pédagogie est l’art de la répétition et que répéter ça veut dire dire la même chose différemment parfois seulement en changeant l’ordre des mots.

Oui des fois ça fait du bien de crier. c’est bien aussi d’arrêter. Ils savent aussi se débrouiller si vous leur faites confiance. Ils sauront mieux que vous ce que nous demandons.

Et surtout, vous n’êtes pas tout seuls. On est là. Pour vous, pour eux et même pour nous il faut le dire parce que je ne vous raconte pas le manque en terme d’échanges humains en ce moment !

Merci pour vos messages de soutien, vos déclarations d’amour au téléphone alors qu’on appelait juste pour prendre des nouvelles, votre empathie et la reconnaissance de notre métier enfin retrouvée.

Il y a des années qu’on cherche à ramener les parents à l’école et finalement c’est l’école qui est venue aux parents. On fait une belle équipe je trouve !

A ma maman qui a passé tellement d’années à faire réciter des déclinaisons latines et des sketchs d’allemand sans en connaître un traître mot, à mon papa qui s’arrachait les cheveux pour m’expliquer pourcentages avec des problèmes à base de taux de crédit bancaire et qui recevait pour unique réaction « mais pourquoi il veut faire un crédit Monsieur A.? » 

Celle qui a fait sa première classe virtuelle

Moi (il y a deux semaines): il n’est pas encore né celui qui me fera me filmer devant les élèves.

Moi (hier): wahhhh c’est trop bien il y a Fiona et Rayan oh et Karim aussi !!!!

Quoi ?! Ça va ! Il y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

Il se trouve que j’ai ressenti comme un manque. Ca fait 12 jours que je n’ai crié sur personne, que je n’ai pas ramassé de carnet que je n’ai pas eu besoin de répéter 100 fois la même chose. J’ai rechuté.

On aurait dit un premier rendez vous. Je les ai bombardés de rappels toute la semaine « lundi on fait la classe virtuelle hein, hein, vous n’oubliez pas lundi c’est classe virtuelle. »

Je me suis connectée 15 min avant en stressant: »et s’ils ne viennent pas ? J’ai peut être pas assez prévenu. »

Puis ils étaient 20 sur 24. Ahhhh ! Mes 4e chéris ! Le manque je vous dis !

Alors ils avaient leur micro branché en même temps, on entendait les frères et soeurs crier, les mamans cuisiner, et c’était le bazar. Et ils ont dit des trucs comme « Madame c’est mieux les cours avec les profs! « 

Et c’était bon putain.

On recommence demain, je vous raconterai nos confidences.

#nationapprenante bilan 1

Première semaine de continuité pédagogique terminée et l’impression d’avoir couru partout les bras en l’air pendant une semaine.

Et vue les retours de collègues, je ne suis pas la seule.

Cela fait depuis samedi dernier que l’on travaille sur la fameuse continuité pédagogique et même ce néologisme me sort par les yeux. On dirait le jingle d’un paquet de lessive que l’on ressort à chaque page de pub.

Je n’ai pas envie de revenir sur la charge de travail qu’a représenté cette première semaine. On l’a vu défilé sur tous les réseaux sociaux.

tenor

J’ai plutôt envie de revenir sur les bonnes choses qui se sont produites cette semaine:

-j’ai un nouveau respect pour notre chef d’établissement, tout seul au collège depuis lundi,  avec qui on fait une classe virtuelle (et c’est lui qui joue le prof) trois fois par semaine pour faire le point. Chaque fois, la première chose qu’il demande c’est si on va bien et si on a du temps pour nos familles.

-j’ai eu des messages de parents adorables et tellement plein de gratitude face au travail qu’on fournit, à notre présence pour les élèves et à la difficulté de notre métier.

– tous mes collègues sont désormais sur Wattsapp et ils envoient des bêtises 60 fois par jour.

-entendre la sonnerie du collège à chaque télé-réunion rend en fait hyper nostalgique.

-découvrir que les élèves les plus timides n’hésitent pas à nous solliciter par mail et sont une aide précieuse pour les autres plus en retard.

-savoir qu’il suffit de passer le message à un élève pour que l’info passe au reste de la classe « parce qu’on a un snap de la classe Madame »

-savoir que certains de nos gamins languissent de retourner à l’école et aussi espérer qu’ils trouveront le goût d’apprendre sans note, sans évaluation, juste comme ça pour le plaisir. Et si apprendre n’était plus synonyme de travailler ?

-espérer que la prise de conscience de la société sur nos difficultés s’inscrira dans la durée, que les gens réalisent que c’est un métier duquel on ne décroche jamais, même quand on n’est pas en classe et que faire la classe c’est du sport, et peut-être même qu’on  arrêtera de nous parler de nos vacances.

Lundi matin, j’anime ma première classe virtuelle. Je vais reprendre figure humaine pour la peine ! A lundi !