Où les parents sont revenus

Après deux années perturbées par le coro, les parents sont revenus hier pour récupérer le bulletin de leur progéniture et faire un premier bilan.

Un samedi matin.

Ce n’est pas faute d’avoir pesté toute la semaine que mettre le réveil à 6h30 un samedi était une hérésie, bougonné sur mon weekend raccourci et pesté à la station service en me demandant où étaient les Gilets Jaunes quand on a besoin d’eux.

Mais…

Cela reste malgré tout un moment particulier où l’on prend le temps de comprendre, de discuter, de se rencontrer.

Je ne me rappelle plus qui m’avait dit lors de mon année de stage: « Les parents viennent ne serait-ce que pour voir ta trogne. Tu ne voudrais pas savoir toi avec qui ton gamin passe ses journées ? »

Cette année, nous sommes un prof principal à deux têtes. On est deux à prendre en charge la classe. Bien que je m’inquiétais de ne pas être capable de déléguer, c’est en réalité très agréable de pouvoir partager la charge et vraiment enrichissant de faire avec le point de vue l’autre.

Nous avons donc réparti les rendez-vous, parfois fait des entretiens à deux quand le cas de l’élève s’y prêtait.

Les parents parfois ils vous hérissent le poil, souvent ils vous touchent. Échantillons:

-Le bulletin de Camille est vraiment très beau. Ça pourrait être intéressant pour elle de faire le tour des lycées et de trouver une option intéressante à choisir l’année prochaine, pour qu’elle s’enrichisse encore plus.

-oui, oui ce serait super. Mais avec un bulletin comme ça que voulez-vous qu’elle choisisse ?

-Mais enfin, Monsieur B., elle a 16 de moyenne partout !

-C’est ce que je vous dis ! Elle est bonne partout ! Comment choisir ?!

-haha vous plaisantez ! Vous savez que c’est une chance d’avoir une enfant qui a un si beau bulletin !

-Mais non c’est pire ! Moi j’étais moyen à l’école, moyen moins même… alors le choix était vite fait puisque je ne l’avais pas. Mais là…!

Ces nouveaux riches !

-Il faudrait surtout qu’il fasse attention à avoir son matériel pour toutes les matières. Vous comprenez ? C’est difficile de travailler et suivre les cours s’il n’a que des feuilles volantes en boule au fond du sac.

-Je suis tout à fait d’accord avec vous. Il est tellement tête en l’air ! Il oublie tout mais à la maison c’est pareil, vous savez. Il ne prend rien au sérieux !

-Sinon, j’en profite pour vous demander si vous aviez prévu de commander la photo de classe.

-oh mince ! J’avais tout préparé le bon et le chèque ! Je les ai oublié dans la voiture !

-…

La maman de Milad arrive un peu nerveuse. On s’était déjà parlées avant les vacances. Lorsqu’elle voit le bulletin avec la mise en garde travail agrafée dessus, son visage a pris toutes les couleurs du spectre de la lumière.

-Je suis tellement en colère contre toi ! Tu m’avais promis ! J’ai déjà vu ça tous les trimestres de l’année dernière. Tu sais que j’ai repris le travail, on avait dit qu’on se faisait confiance ! Je me lève a 5h30, je rentre à 22h. Monsieur ne veut pas s’habiller en Kiabi ou en zara ! Je me tue pour lui payer ses habits de marques, pour qu’il ait un toi sur la tête et le frigo plein. Il n’a qu’une chose à faire. Toi ! toi…! Je ne peux même pas te regarder Milad tellement je suis déçue.

Lui, aimerait que le sol s’ouvre sous pieds et le dévore tout cru. Il a la tête face au sol, les yeux un peu rouge.

On était deux pour ce dernier rendez-vous. Mon coéquipier a toujours les mots justes, il est assez bluffant avec sa force tranquille et son recul sur l’école. Il temporise la mère et interpelle le môme.

-Tu peux nous expliquer ce que tu fabriques à la maison ? Comment est-ce que tu travailles ?

-Ben je sais pas , je travaille.

-Ouais mais tu y passes du temps ? Tu apprends tes leçons ? Tu fais les exercices ?

-ouais voilà tout ça…

-Ben alors pourquoi il y autant d’observation pour travail non fait ? il y a bien autre chose qui t’occupe… le téléphone ? La console ?

silence

On essaye de parler du stage, de son orientation.

-Moi ce que je veux pour lui, c’est qu’il ne soit pas dans la galère. Qu’il ait un salaire tous les mois pas qu’il enchaine les chômages. Je ne suis pas contre la voie professionnelle s’il a un projet. Je lui ai proposé de venir dans le médical comme moi, il y a beaucoup de travail. Ou encore la police je sais pas. Il dit non à tout.

-Il fait son stage en mécanique. C’est bien, c’est aussi une voie où il y a du travail vous savez.

-mécanique… non…j’ai eu une mauvaise expérience.

-Ah bon ? le bac pro est bien. Il y a plusieurs branches, il peut se spécialiser. Il y a vraiment du travail pour les bons mécaniciens.

La mère commence à tripoter ses bagues, à s’agiter un peu sur sa chaise.

-Je suis tellement énervée… je vais dire des choses…

Puis, à bout d’arguments et de souffle, elle finit par lâcher:

-Ma seule peur, c’est qu’il finisse comme son père ! Voilà !

Et tout à coup, nous voilà introduits dans l’intimité d’une famille, ses angoisses et le poids que chacun doit porter.

Faire famille

Le voyageur contemplant une mer de nuage – Friedrich

Un jour, une collègue en salle des profs s’est écriée:

-Mais ce n’est pas parce que je n’ai pas d’enfant que je ne peux pas comprendre ! C’est fou cette vision des choses !

Et de fait, il y a des enseignants sans enfant qui comprennent parfaitement les élèves et certains qui sont parents mais qui ne les comprendront jamais.

Dans notre métier en particulier, la relation avec la parentalité est complexe.

Cela a sans doute à voir avec la transmission et le partage; le nom même de notre ministère entretient une confusion.

Je ne sais pas si le fait de devenir mère a changé ma pratique. Je suis tombée enceinte lors de ma première année en tant que titulaire, j’ai donc été quasiment toujours une maman et une prof.

Mon désir d’enfant est aussi ancien que celui du métier. J’ai toujours su que je voulais l’un et l’autre. Je n’ai pas toujours su que je le serai.

Dans les deux cas, on peut parler de vocation. J’ai une passion pour mon métier et expérimenter la parentalité est une joie infinie. Le doute est partie intégrante de ma vie mais ces deux pôles sont au fondement de qui je suis.

Cela ne veut pas dire que toutes les trajectoires sont aussi linéaires.

La maternité ramène la femme, j’écris ce terme dans l’acception la plus large possible, à une forme d’essence. Cette essentialisation est problématique car elle fait à la fois peser la perpétuation de l’espèce sur elle tout en permettant d’asseoir une domination qui perdure aujourd’hui en divers endroits.

Alors évidemment de nombreuses questions émergent en réaction à cela: ai-je vraiment envie d’être mère? Pourquoi attend-on de moi que je le sois? serai-je à la hauteur ? Si je ne le suis jamais, vais-je le regretter ? Pourrais-je lui éviter les peines et les heurts que j’ai traversés ? Suis-je suffisamment solide ? Pourquoi ai-je si peur? Et si je me retrouve seule, que vais-je faire ? Privilégier mon bonheur et ma liberté, en restant sans enfant, fait-il de moi un être égoïste ? Ne suis-je pas simplement honnête ?

Le désir d’enfant peut être quelque chose de très puissant, au point qu’il absorbe tout sur son passage quand il n’est pas assouvi. Il peut ne jamais se réveiller. Et puis il peut aller et venir, comme le ressac des vagues; parfois avec violence puis disparaître à nouveau pour retrouver le calme.

Si l’on retire tous les filtres de la pression sociale, il ne reste que ce que l’on a au fond du ventre. Sa propre vérité.

Un prof qui vous a marqué parce qu’il vous a respecté dans votre individualité, parce qu’il a su apporter même momentanément un peu de ce qui manque ailleurs et puis qui vous a tout simplement aimé a pu ressembler, à quelque égard, à une figure parentale ou du moins, à sa transposition.

La biologie n’a rien à voir là dedans. La vie se produit en dehors de l’étude du vivant.

Il y a les enfants des autres qu’on aime comme les siens, les enfants qui passent dans nos vies et auxquels on a ouvert un grand cœur, les enfants esseulés que l’on a momentanément soutenus et tous les autres, qui, en vous offrant leur confiance vous font un cadeau merveilleux.

Tata, tatie, oncle, tante, tonton, beau-père et belle-mère, parrain, marraine, famille construite et floue, mono ou homo parentale, conventionnelle, traditionnelle ou alternative et anarchiste… Faire famille c’est tisser un lien qui parfois n’a rien à voir avec les liens du sang et qui parfois en a besoin.

L’amour inconditionnel n’existe au fond que dans ce paradigme: celui de l’adulte bouleversé par l’innocence et la gratuité de l’amour d’un enfant et qui, en échange, fera tout pour lui en dépit de ses propres besoins.

Chacun peut construire ce paradigme à sa manière: choisir de le composer des différentes facettes que l’amour peut offrir. L’infini de l’imagination est la seule limite.

C’est compliqué et parfois on a du mal à trouver une oreille prête à accueillir sa peine et ses doutes mais sache que la porte est ouverte si tu as besoin de parler.

Mon bébé ne veut plus être un bébé

-Maman !!! Aujourd’hui on a mangé à la cantine de l’école des CP ! J’avais un plateau et tout. J’ai pris une entrée et un dessert ! C’était trop hyper méga bon !

Les papiers sont remplis, son nom sera bien sur les listes à la rentrée.

Mon bébé va rentrer au CP.

-Maman, ça fait longtemps que je ne suis plus un bébé ! Je suis un grand ! Je n’ai plus de couche !

Sans doute.

Mais alors explique-moi pourquoi, Monsieur Le Grand, quand, chaque soir avant d’aller me coucher, je passe dans ta chambre pour te regarder dormir, tu as toujours la lèvre du haut retroussé en un bouton de rose et les bras en angle droit au dessus de ta tête.

Pourquoi quand tu fais un cauchemar, tu cries toujours mon nom, celui que tu es le seul à prononcer ?

Et quand tu es malade, ne restes-tu pas contre moi jusqu’à t’endormir d’épuisement?

Tu fais tes nuits depuis longtemps maintenant mais je me lève toujours pour être sûre que tu vas bien, que tu es bien couvert et que tu n’as besoin de rien.

Tu manges de tout depuis longtemps mais je prépare tes repas avec le même souci des vitamines, des fibres, du goût et la hâte de découvrir ton sourire devant ton plat préféré.

Tu ne m’embrasses plus avant de rentrer à l’école, trop pressé de retrouver ta maîtresse et tes copains mais je reste si fière le peu de fois où je me retrouve devant le portail.

Tu n’es plus un bébé mais tu restes le mien, mon trésor caché au fond de mes entrailles pendant 9 mois.

Et comme c’est beau et comme je suis fière de te voir t’ouvrir au monde.

Puisse l’école continuer à t’apporter la joie, l’enthousiasme et l’envie d’en connaître toujours plus.

Puisses-tu l’aimer comme je l’aime.

Si tu le voyais, avec ses yeux en amandes, ses joues comme deux pommes d’amour et son corps tout allongé…

Mon grand va bientôt rentrer au CP et me rappelle que le temps file trop vite.

Où j’étais au portail

Avec la reprise en décalé, j’ai pu pour la première fois de l’année emmener et chercher mon fils de l’école.

Je ne sais pas lequel des deux était le plus content. En tous cas, j’avais mis le réveil assez tôt histoire d’être défroissée et je m’étais sapée pour l’occasion.

Et comme l’alignement des planètes n’est pas près de se représenter, j’ai fait la totale: portail du matin, du midi et du soir.

Déjà, je tire mon chapeau et je fais même une révérence à celles (et ceux) qui font ça tous les jours ! Mes parents devraient se voir ériger une statue par leur ingrate de fille.

Parce qu’on est d’accord qu’on passe sa vie l’œil sur la montre à se demander si telle activité vaut le coup d’être commencée car il va bientôt falloir repartir pour l’école; ou c’est juste mon incompétence ?

Ma vie est une course permanente (pensai-je naïvement) mais une fois mon colis largué chez mes parents, je n’ai que moi à gérer jusqu’au retour le soir. Rien à voir avec le stress d’arriver en retard et de se taper la honte la matin ou de ne pas être là au moment de la sortie avec votre enfant la bouche à l’envers à côté de la maîtresse qui se demande si vous l’avez oublié.

Je suis tellement novice en la matière que lundi matin ça a donné:

« -M’man je le ramène à 45 c’est ça ?

– Mais non 35.

-ah ouais ! Je vais le noter sur ma main quand même… »

Du coup, j’ai pu parler avec la maîtresse, j’ai pu voir (et un peu observer) les autres mamans et surtout à chaque fois au portail son regard tout lumineux… et je l’entendais qui disait aux copains:

-C’est Elle, ma maman.

C’était trop bien d’être une maman d’école.

Entendu, vu, lu cette semaine

Des élèves de 6e qui m’écrivent « bien cordialement Madame » à la fin des messages ENT.

« alors moi j’ai choisi la fable ‘le lion et le rat’ parce que la morale dit qu’on a toujours besoin d’un plus petit que soi et je vais la lire à mon grand frère. »

un papa célibataire « Je ne le dis pas devant les autres parents mais je suis content moi qu’ils reprennent l’école normalement, même pour une semaine. Parce que j’ai pas réussi à suivre mes filles et je dois vous avouer Madame que j’ai un grand sentiment de culpabilité… »

une maman « Je suis contente de vous avoir au téléphone, je voulais vous demander… Vous savez Lana, a eu une année difficile, elle était toute seule tout le temps. J’aimerais qu’elle soit avec Imène l’année prochaine…Une lettre ? C’est que je ne sais pas bien écrire vous savez… C’est vrai ?? Oui, oui je la signerai ! Merci, merci mille fois ! »

-Quand j’ai dit aux élèves qu’on faisait l’école ouverte toutes les deux ces vacances, ils sont passés de « lol » à « on s’inscrit où ? « 

-Madame ! Est-ce que la prof d’anglais est là aujourd’hui ? -Oui pourquoi ? -Ben, sinon on finit à 15h30. -Vous venez au collège un jour par semaine et vous espérez quand même avoir un prof absent ? -Ben ouai, c’est ce qu’il y a de mieux au collège ça!

-Il est pris en prépa métier ? Sur son premier voeu ? C’est merveilleux, fantastique ! Amiiiiiiinnnnneeeeeee ! Tu as été pris !!!!

un collègue : les gamins n’ont pas le droit de se prêter le manuel ? Mais comment on va faire ? Ils vont tous oublier la moitié de leurs affaires lundi. -Tu fais un scan du manuel et tu le projettes. -Tu es une fée.