Les jours ahhhhhh !

La journée commence avec les 4e et leur contrôle sur la leçon de la veille, contrôle annoncé: huit élèves ont 0/10 parce qu’ils ont rendu copies blanche. Linda m’explique « j’ai pas appris, donc je vais pas le faire. » Et Amir qui a le droit à son ordinateur pour cause de dyslexie et tutti quanti a partagé la connexion de son téléphone pour chercher les réponses et qui croit qu’en écrivant « une comparaison est une figure d’analogie entre deux éléments, un comparé et un comparant » je ne vais m’apercevoir de rien sachant que la définition du cahier donne basiquement « une comparaison c’est comparé deux éléments à l’aide de « comme ».

Deuxième heure Linda, décidément en grande forme aujourd’hui, a caché la trousse d’Andréa parce que c’est trop rigolo, sous l’armoire au fond de la classe. L’autre en train de chercher sa trousse dans tous les sens …

On en est déjà à deux beuglantes. Je n’ai bu qu’un seul café. Pas l’idée du siècle de jouer le sous dosage ce matin.

Les cinquièmes ont l’air motivé pour silence on lit. Tiens ? Les dix minutes passent on sort les plans de travail. Rachid, au premier rang, doit en avoir assez de travailler car au bout d’un quart d’heure il ressort son manga et le lit tranquillement et ne comprend pas pourquoi il prend une retenue.

Les troisièmes. Deux heures d’affilée. Aller on va continuer le travail de groupe sur Voltaire. 6 élèves lèvent la main « on était pas là quand vous avez commencééé, on n’a pas de grouuuupe. » Respire. Je les place à peu après arbitrairement dans un groupe en étant bien consciente que s’ils n’ont pas fait la recherche ça va faire plus figuration qu’autre chose mais bon…

« on y va mollo sur le volume sonore les enfants » 1 fois… « on baisse le son s’il vous plait » 2 fois

après 5 (10?) fois ça ressemblait plus « on s’entend meme pas hurler ici !!!! »

Deuxième heure, au bout du rouleau, je me dis, aller on va la faire aujourd’hui la séance sur La Ruée vers l’or de Chaplin. J’imprime les documents d’analyse du film pendant la récré, je n’ai tjs pas de café dans le sang depuis ce matin (ça m’apprendra à oublier mes pièces et mon pot).

Ils remontent. « On va regarder le Charlie Chaplin que vous pourrez choisir pour sujet de votre oral. » Pleine d’espoir j’allume Netflix. Put*** ils ont viré la collection Chaplin de leur catalogue. Je cherche sur Google où le trouver (non je n’ai pas le dvd et le lecteur de mon ordi est de toute façon HS), il paraît qu’il est sur Prime. Je n’ai pas les codes. J’écris a ma sœur pour avoir les siens. Elle me les envoie. Les gamins commencent à frémir comme le lait sur le feu. « Un peu de calme s’il vous plaît. » Je me connecte à Prime. « Nous ne reconnaissons pas votre appareil nous envoyons une confirmation sur votre téléphone » qui n’est pas le mien… ma sœur confirme, je trouve le film, je le lance:

« Pour visionner ce film veuillez vous abonner à OCS »

Ahhhhhhhhhhhhhh.

Encore une semaine, force à nous la zone C !

Entendu #8

– Madaaaame, vous l’avez encore votre carnet ?

-Quel carnet ?

-Celui où vous notez ce qu’on raconte.

-Qui vous a parlé de ce carnet ?

-S, qui était dans votre classe l’année dernière. Il dit qu’il est sûr que vous avez noté toutes ses blagues dedans.

[les questions que l’on peut entendre en expression-écrite]

-Madame, vous voyez une moustache, mais une moustache bien, hein?

-Euh…. oui

-Ben comment on le dit ?

-…

-Quoi ?! Pas d’eyeliner aujourd’hui ? Et vos lunettes et des baskets ?

-Et oui, je suis malade et fatiguée.

-Non mais ca va quand même!

-Je te remercie, je m’inquiétais…

-Madame c’est quoi un gay à peine ?

-Un quoi ?

-ça là.

-Un guet-apens.

-Ahhhh ok !

« Si je fais pas de bêtise, j’aurais un gros cadeau. Bon, ça fait depuis la 6e que j’attends mais là c’est la 3e, c’est bon ! Du coup j’ai changé de tactique, chaque fois qu’un prof veut me mettre une observ’ je crie pour qu’il la mette pas. »

-Ah ouais, super la dicée à trous ! Moi aussi je veux bien être dyslexique !

-Tu sais que c’est comme si tu disais « ah ben super la grosse place de parking ! Moi aussi je veux être handicapé. »

-Ah ouais…

Tenez les enfants, en souvenir de votre rédaction de la semaine dernière, je vous ai ramené Les Confessions de Rousseau.

-Euh Madame, c’est pas un livre ça, c’est un dictionnaire…

-Et vous lisez ça parce que..?

-Mais parce que c’est magnifique ! Il y a des pages belles à en pleurer.

-Ah ouais, elle doit être géniale vot’ vie…

Je vous laisse avec une page de la Nouvelle Héloïse, pour preuve que ma vie n’est pas triste et parce que personne n’écrira plus jamais comme cela.

« Jusque là je m’étais toujours rappelé Julie brillante comme autrefois des charmes de sa première jeunesse. J’avais toujours vu ces beaux yeux animés du feu qu’elle m’inspirait. Ses traits chéris n’offraient à mes regards que des garants de bonheur; son amour et le mien se mêlaient tellement avec sa figure que je ne pouvais les en séparer. Maintenant j’allais voir Julie mariée, mère, indifférente peut-être. A quel point pouvait-elle être changée ?

Quand j’aperçus la cime des monts le cœur me battit fortement en me disant : elle est là. Le monde n’est jamais divisé pour moi qu’en deux régions, celle où elle est et celle où elle n’est pas. La première s’éloigne quand je m’éloigne et se resserre à mesure que j’approche, comme un lieu où je ne dois jamais arriver.

Plus j’approchais de la Suisse, plus je me sentais ému. L’instant où, des hauteurs du Jura je découvris le lac de Genève fut un instant d’extase et de ravissement. La vue de mon pays, de ce pays si chéri où des torrents de plaisir avaient inondé mon cœur; l’air si doux et si pur de ma patrie.

A peine Julie m’eut-elle aperçut qu’elle me reconnut. A l’instant, me voir, s’écrier, courir, s’élancer dans mes bras ne fut pour elle qu’une même chose. A ce son de voix je me sens tressaillir; je me retourne, je la vois, je la sens. Son regard… et je ne puis plus parler. »

Le quart d’heure de misandrie

Cette année, ou bien est-ce la première fois que je le remarque, trois de mes classes sont à majorité masculine.

Et c’est fou comme ça se ressent dans l’énergie de la classe.

Pas tellement dans le bon sens d’ailleurs…

Alors on va encore me taxer de « féminazie » (si tant est que ce terme ait un sens d’ailleurs) MAIS… bon sang, c’est fou comme au sein d’un groupe d’ados transpire tous les dysfonctionnements d’une société.

Et ce matin avec ma classe de 5e, c’est devenu tellement ingérable que j’ai dû user de la force. Pas physique mais morale.

Il y a 7 filles pour 23 élèves dans la classe de cinquième. Et à part quelques petites exceptions (si mignonnes au demeurant) on dirait qu’on a rassemblé les uniques garçons d’une fratrie de dix. Comme si tous les petites derniers bébé de maman étaient là, constamment en train de piailler parce que le repas n’est pas à leur goût ou qu’on ne les écoute pas alors qu’ils parlent.

Je les ai repris un bon nombre de fois. Mais rien n’y fait, si j’interroge une fille, ils se sentent le droit de parasiter sa prise de parole. Comme si elle n’existait pas. Ça donne des situations ubuesques où les filles lèvent le doigt, patientent, un long moment par ailleurs, pendant que je suis en train de canaliser le flux incessant de parole des garçons qui arrive en rafale de tous les côtés.

Et là c’est sous mes yeux, et j’en suis la responsable,

« bon c’est insupportable ce bruit. Il est 40, ça sonne à 55. Les garçons vous n’avez plus le droit de participer ni d’ouvrir la bouche jusqu’à la sonnerie. »

Les filles ont un sourire jusqu’aux oreilles.

« Ah ben ça va les changer de se taire un peu, dis S. avec un sourire en coin »

Je ne vous raconte pas le tollé que cela a provoqué ! En une seconde, ils étaient prêts pour la révolution, debout sur la table à crier au sexisme et à la discrimination.

Oui, parce que les privilèges, quand on en bénéficie, on n’a pas du tout envie de les lâcher.

« Bienvenue dans notre monde ! Ça fait 2000 ans au moins qu’on est opprimé et qu’on nous explique quoi dire, quand le dire et comment nous habiller. Vous n’allez n’expérimenter qu’un seul aspect !»

Alors oui, on va me rétorquer qu’opposer de l’oppression à de l’oppression ce n’est pas humaniste. Sans doute.

M’est avis cependant que tant qu’on a n’a pas goûté dans sa chair une douleur quelconque, on a du mal à la comprendre.

En attendant mes 7 filles, ont pu participer, se tromper, participer encore et avoir la bonne réponse. Et les garçons qui avaient la bouche close, attendaient impatiemment la libération, les pieds sous les fesses et le bras quasi déboîté tant il pointait vers le ciel.

« C’est nul hein le sexisme ?

-humph. »

Où je leur fais un audio

J’avais dit « jamais je ne me ficherai devant une caméra pour les élèves ! » et puis le confinement est arrivé, et pourtant j’ai bien dû faire cours en face cam dans mon salon.

Et aussi « il n’est pas né celui qui me verra en short et en baskets faire du hand avec mes collègues contre les élèves ». Je crois bien qu’il y a des photos qui prouvent le contraire.

Ce qu’il y a de bien dans notre métier, c’est que les élèves nous poussent à faire tomber nos propres barrières.

C’est un peu comme avec ses enfants. Ils nous font grandir.

Quand mon petit a eu trop peur de descendre du toboggan-tube à 2ans, et qu’il fallait grimper en jupe, en prenant le toboggan à l’envers pour le sauver… j’ai râlé mais j’y suis allée. Et même si le plastique brûle les fesses.

J’aime faire lire « le salaire du sniper » en 4e. C’est un texte court avec une chute folle mais il est difficile à lire pour les élèves.

Soyons modernes ! Je passe ma vie à écouter des podcasts et mes collègues écoutent des livres audio tout le temps. Je vais leur proposer la version audio en complément.

Sauf que voilà, impossible de trouver une version audio convenable ou complète du texte.

Deux solutions: soit je donne le texte seul. Après tout, ils progresseront et puis c’est ça la littérature, il faut se battre pour elle comme toute histoire qui mérite d’être vécue.

Ou alors…

« Je fais la version audio moi-même » dit la petite voix au fond de moi.

Et mes 4e sont si mignons…

-si je fais une version audio du texte et que je la mets sur l’ENT ça vous aiderait ?

-ah ben oui, ce serait super !

-bon vous ne l’écoutez que si vous en avez besoin, hein ! Il ne pas va y avoir des remix de ma voix sur internet tel Denis Brogniart et son « ah! » ?

-Mais nooooon !

Il est quand même louche ce grand sourire derrière leur masque.

Me voilà donc à la pause déjeuner, en train de bidouiller avec le dictaphone de mon téléphone et de réécouter (oh supplice) le son nasillard de ma voix.

Ce Week-end je m’occupe de le séquencer et de le déposer.

Si j’y arrive.

Nous verrons si le contrôle de lecture sera mieux réussi.

Faire tomber les barrières, je vous disais.

Et merci Maëva Genham !

Avec ma classe de 4e, on a commencé à travailler sur l’information et le journalisme. La classe a l’air assez intéressée par le sujet. C’est cool. Pour tâter un peu le terrain, je leur ai donné comme devoir de trouver un événement ou une information qui fait l’actualité du moment et d’en parler pendant 30 secondes à la classe.

A la séance suivante, je commence la revue de presse et surprise, ils ont tous quelque chose à raconter. La mort de Belmondo, l’Afghanistan, la rentrée, etc. Tout y passe. Bon, ils se renseignent sur les réseaux sociaux et BFM TV mais c’est pas encore l’objet de notre travail. On verra ça plus tard.

De mon côté, mes longs trajets de voiture aidant, je réfléchis à un truc sympa à leur faire faire. Je me rends compte que j’ai plaisir à retrouver cette classe ce matin, que ce serait pas mal d’avoir un rituel rien qu’à nous, tout ça. On n’est qu’au tout début du mois de septembre et ils me font déjà des petits gazouillis. ça promet. En plus, j’ai de nouveau une antenne radio dans la voiture (l’autre a été décapitée lors d’un lavage auto un peu féroce) BREF ! j’apprends par Augustin-mon amour-Trappenard que le Texas a voté un amendement à leur loi anti IVG qui récompense toute personne qui dénoncerait un avortement. Ce monde va décidément très mal.

Accrochez-vous, je sens que je ne vais pas être concise dans cette histoire et que ça va partir dans tous les sens.

On a deux heures de français ce matin. Je lance l’idée d’un rituel de classe d’actualité. Chaque début de séance, quelqu’un nous parlerait d’une actualité et nous servirait de veille informationnelle. Il faudra citer sa source et pouvoir répondre aux questions des autres si besoin. Le thème est libre: politique, société, culture, mode, sport…

-Même le foot ?

-Même le foot. J’y connais rien, comme ça c’est vous qui m’apprendrez quelque chose.

Ils sont partants ; on a 4 séances par semaine, ça fait un roulement de 5 semaines. C’est tenable.

Je leur propose de commencer et je leur parle de l’amendement texan.

« Hein mais ils sont sérieux ? C’est le Moyen-Âge là-bas ?

-C’est vrai que c’est quand même drôle que le pays qui se permet de donner des leçons de démocratie à tout le monde puisse considérer que le corps de la femme soit public. »

Je vois bien les regards baissés de certains, pas la majorité, mais je sais ce que certains pense de l’avortement ou du moins ce qu’on leur a appris à penser.

« Mesdemoiselles, quoi qu’en dise la loi, le dogme ou une quelconque autorité, votre corps et son intégrité vous appartiennent. »

Je fais mon couplet féministe, tout le monde connaît la chanson.

Et là, Dino lève la main et fait:

-Bah de toutes façons on fait ce qu’on veut avec nos corps ! On est libre.

-Tu as raison même si certaines choses dépendent encore des adultes à ton âge et même de la loi. Dans une large mesure tu es maître de ton corps. On peut le façonner comme on veut, lui donner le look qu’on veut. Il ne ressemble a aucun autre. Et en parlant de ça, personne ne m’a parlé du bad buzz de Maëva Genham.

-Ah oui, elle veut un vagin de 12 ans !

*Rire général*

-Tiens commençons par ça. Parce que ce que raconte Maëva, biologiquement ce n’est pas possible. Le vagin c’est interne et ça ne se lifte pas. Vous allez avoir la reproduction dans vos cours de SVT cette année alors écoutez-bien pour ne pas dire les mêmes bêtises.

-Mais pourquoi elle veut un vagin de 12 ans ?

Douze ans, c’est à peu de choses près leur âge. Et ça doit leur faire un bizarre encore plus bizarre à eux qui commencent à voir les transformations de la puberté.

Je leur explique alors que ce sont des codes de beauté qui sont diffusés en grande partie par la pornographie où il y a une esthétisation et une idéalisation de l’intimité, sans parler du culte de la performance.

« J’ai pas besoin que vous répondiez mais je sais que la plupart d’entre vous a déjà regardé des images pornographiques. »

Grand silence.

Dino qui n’a pas la langue dans sa poche s’écrie:

« Pas la peine de faire genre hein !

-C’est normal, la sexualité est un sujet tabou, c’est compliqué d’avoir les réponses à ses questions; ces vidéos sont un moyen d’obtenir les réponses. Le souci c’est que c’est un peu comme une fake news, que le public visé est masculin et que cela répond à un idéal et des fantasmes masculins. Et c’est pour ça que cela peut très bien provoquer du dégoût comme du plaisir. La sexualité n’a rien à voir avec cela, et il vous faudra encore pas mal d’années pour avoir la maturité nécessaire pour appréhender cela.

-Hein ! Des années ! Mais y’en a ils ont déjà couché à 14ans !

-C’est jeune 14 ans. Très jeune même. Quand on ne se connaît pas encore soi-même, il vaut mieux attendre avant de rentrer dans l’intimité de quelqu’un. Il y a mille façons de rentrer en contact avec l’autre avant ça.

-Comme quoi ?

-Se parler sans traiter l’autre de « grosse pute » c’est un début.

Nouveau rire.

Sonnerie.

« Bon allez sortez en pause que je consulte mes avocats au cas où vos parents viendraient m’attaquer en justice.

Mel qui écoute tout mais ne dit rien me glisse

-Aucune chance Madame, ne vous inquiétez pas. »