Entendu #8

– Madaaaame, vous l’avez encore votre carnet ?

-Quel carnet ?

-Celui où vous notez ce qu’on raconte.

-Qui vous a parlé de ce carnet ?

-S, qui était dans votre classe l’année dernière. Il dit qu’il est sûr que vous avez noté toutes ses blagues dedans.

[les questions que l’on peut entendre en expression-écrite]

-Madame, vous voyez une moustache, mais une moustache bien, hein?

-Euh…. oui

-Ben comment on le dit ?

-…

-Quoi ?! Pas d’eyeliner aujourd’hui ? Et vos lunettes et des baskets ?

-Et oui, je suis malade et fatiguée.

-Non mais ca va quand même!

-Je te remercie, je m’inquiétais…

-Madame c’est quoi un gay à peine ?

-Un quoi ?

-ça là.

-Un guet-apens.

-Ahhhh ok !

« Si je fais pas de bêtise, j’aurais un gros cadeau. Bon, ça fait depuis la 6e que j’attends mais là c’est la 3e, c’est bon ! Du coup j’ai changé de tactique, chaque fois qu’un prof veut me mettre une observ’ je crie pour qu’il la mette pas. »

-Ah ouais, super la dicée à trous ! Moi aussi je veux bien être dyslexique !

-Tu sais que c’est comme si tu disais « ah ben super la grosse place de parking ! Moi aussi je veux être handicapé. »

-Ah ouais…

Tenez les enfants, en souvenir de votre rédaction de la semaine dernière, je vous ai ramené Les Confessions de Rousseau.

-Euh Madame, c’est pas un livre ça, c’est un dictionnaire…

-Et vous lisez ça parce que..?

-Mais parce que c’est magnifique ! Il y a des pages belles à en pleurer.

-Ah ouais, elle doit être géniale vot’ vie…

Je vous laisse avec une page de la Nouvelle Héloïse, pour preuve que ma vie n’est pas triste et parce que personne n’écrira plus jamais comme cela.

« Jusque là je m’étais toujours rappelé Julie brillante comme autrefois des charmes de sa première jeunesse. J’avais toujours vu ces beaux yeux animés du feu qu’elle m’inspirait. Ses traits chéris n’offraient à mes regards que des garants de bonheur; son amour et le mien se mêlaient tellement avec sa figure que je ne pouvais les en séparer. Maintenant j’allais voir Julie mariée, mère, indifférente peut-être. A quel point pouvait-elle être changée ?

Quand j’aperçus la cime des monts le cœur me battit fortement en me disant : elle est là. Le monde n’est jamais divisé pour moi qu’en deux régions, celle où elle est et celle où elle n’est pas. La première s’éloigne quand je m’éloigne et se resserre à mesure que j’approche, comme un lieu où je ne dois jamais arriver.

Plus j’approchais de la Suisse, plus je me sentais ému. L’instant où, des hauteurs du Jura je découvris le lac de Genève fut un instant d’extase et de ravissement. La vue de mon pays, de ce pays si chéri où des torrents de plaisir avaient inondé mon cœur; l’air si doux et si pur de ma patrie.

A peine Julie m’eut-elle aperçut qu’elle me reconnut. A l’instant, me voir, s’écrier, courir, s’élancer dans mes bras ne fut pour elle qu’une même chose. A ce son de voix je me sens tressaillir; je me retourne, je la vois, je la sens. Son regard… et je ne puis plus parler. »

brèves de coeur

En cette nouvelle année, les histoires à raconter commencent à arriver mais avant de vous présenter le nouveau cru 2021-2022, j’ai retrouvé dans mon vieux carnet, les dernières pensées de mes anciens bébés.

Madame, est-ce que quand Molière est mort vous étiez née?

– Quand j’ai mentionné que j’étais née à un siècle différent du vôtre, je ne parlais pas du XVIIe !!

-Madame, Le Premier homme, ça se passe en ville ?

-Oui, à Alger.

-Pffff de toutes façons le Maroc c’est mieux !

-Hein quoi ?! Qu’est-ce que tu dis là ?

-Je te dis que ma mère est algérienne et que même elle, elle dit que c’est mieux le Maroc !

-N’im-por-te quoi !

-Bon les enfants, ce sujet de réflexion sur « ville et campagne » il peut reprendre son cours ?

Comment ? ça s’appelle un « trait d’union » ? J’ai toujours dit « le tiret au milieu du mot » !

-Madame, il est joli votre stylo.

-Tiens, prends-le puisqu’il te plaît.

-Non. Non. C’est bon…

-Et mais moi je le prends ! Je peux l’avoir ?

-Quoi, mais quoi ! Mais c’était à moi !

-Tu ne le voulais pas et ça me fera un souvenir de Madame R.

-Madame ! Madame ! Vite vite venez voir ! Il y a un poussin devant votre salle !

-Hein ? Mais qu’est-ce que vous avez fait encore ?

-Vite ! Vite !

-Non de non ! Les garçons, on a dit pas de décolo à la maison ! Mais comment tu as obtenu ce dégradé orange ?

« Vous allez quand même drôlement nous manquer Madame… »

A tous ceux qu’on n’oublie pas. ❤

Entendu #7

« J’ai un groupe là… pfff… c’est pas les couteaux les plus aiguisés du tiroir à couverts ! »

« Qui peut m’expliquer ce que signifie « accélérer son trépas »?

-euh… marcher plus vite ?

-Non… »

« Eh Madame ! Regardez comment il a écrit ‘croyance’ hahaha ! Ton orthographe, frère, elle est comme ton dégradé, éclatée au sol ! »

« Non mais Madame, vous allez corrigez les brevets blancs, finir les copies des autres classes, les bulletins, les compétences. Olalala mais comment vous allez faire tout ça ? C’est pas possible !

-Je ne me pose pas la question en ces termes. Il faut faire, je fais, il n’y a pas de débat.

-Non mais Madame, vous allez vous user la santé, là ! Moi, je serais vous, je laisserai tomber les brevets blanc et je laisserai nos moyennes comme ça ! Je dis ça, c’est pour vous moi ! »

« On se fait un sujet d’entraînement rapide et efficace. Vous prenez une heure et vous faites un maximum de questions. On est au point, il n’y a aucun piège, vous avez tout vu et je ne suis pas peu fière ! Donc c’est parti ! Goooo !

(10 minutes plus tard)

Mais qu’est-ce qui vous arrive là ? Vous êtes déjà bloqués ? Quelle question vous embête ?

-La première. »

« Vous savez dans la vie on apprend sans arrêt, on se cultive, on expérimente. C’est ça le vrai sens de la vie. On ne finit jamais de grandir !

-…

-Qui a dit « sauf la prof ?! »

Entendu cette semaine #5

Dans la grisaille ambiante, leurs propos me font parfois l’effet de longs rayons de soleil qui traversent malgré tout les nuages.

-Mais qu’est-ce que tu fous là Nabil ? Ta journée est finie !

-Ouais mais non je viens en français, la prof a dit que je venais quand je voulais. Madame, je peux juste prévenir ma mère ?

[pendant qu’ils bûchent sur leur questionnaire de lecture]

-Vous faites quoi, Madame ?

-J’ai commencé un livre super, hier. J’arrive pas à le lâcher. C’est l’histoire d’un type qui a assassiné toute sa famille; ses enfants, ses parents, sa femme… j’ai hyper peur !

-Et pourquoi vous lisez ça et nous on a droit à Jeannot de la Jeannotière et son Colin ?

-Vous voulez qu’on instaure le quart d’heure de lecture et que je vous le lise ?

-Ouiiiiiiii »

[Ils ont aussi récupéré leur brevet blanc cette semaine, Amir a eu 51/100, ce qui n’est vraiment pas si mal compte tenu de ses difficultés]

« J’en ai marre de cette vie là sérieux ! C’est bon, on n’a qu’à se suicider!

-Tu te calmes, j’ai eu 32, tu m’entends pas hurler à la mort. »

« Voilà, voilà, voilà ! Vous l’avez pas entendue celle-là, hein ! Evidemment ! Nabil il me balance des punchlines de l’espace, là. Moi, je suis obligé de riposter, avec ma grosse voix, moi, vous m’entendez. Ah ça c’est sûr, moi vous m’entendez! Vous allez mettre une observ’ sur ma fiche de suivi, le prof principal va m’engueuler, après il va appeler ma mère, ma mère elle va me priver de téléphone. Tout ça pourquoi ? Parce que vous avez pas entendu Nabil. Alors, hein hein ? Vous allez mettre quoi sur ma fiche de suivi ??

-Oh… un truc du genre « passablement perturbé par son brevet blanc. »

[On bosse l’orientation en ce moment, certains voient la porte de la seconde générale se fermer. Alors évidemment c’est ma faute. D. boude et part en sucette depuis le début de la semaine. Il devrait comme les autres faire son plan de travail, au lieu de ça, il boude les bras croisés.]

« Tu me saoules D. Je ne supporte plus de te voir faire la tête à longueur de journée. Je n’ai jamais dit que tu n’irais jamais en général, je dis juste que tu feras peut-être un détour en voie professionnelle. Tu me regardes quand je te parle ? Punaise ! On dirait mon fils de 4ans. Alors puisque tu as 4ans, je vais te parler comme à lui. Va dans ta chambre, reste dans ton coin, réfléchis et quand t’es calmé on discute. »

Siam qui a toujours l’oreille qui traîne et une répartie en béton matricé:

« Quoi ? C’est une punition ça Madame ? Il est puni là, votre fils ?

-Ben, oui. Tu veux que je lui fasse quoi ?

-Une claque derrière la tête ça remet toujours les idées en place.

-Quoi ? Mais vous prenez tous des coups quand vous faites des bêtises ?

Tous : « ben oui ! »

J’entends Siam qui ronchonne. « Aller dans sa chambre une punition ! pff… La Mecque, ça doit être bon d’être fils unique… »

« Madame pour l’oral du brevet, je peux utiliser mon travail de lecture sur l’Etranger ?

-Ah ben oui, c’est une super idée; je t’aiderai avec plaisir. Tu veux que je te reprenne l’exemplaire dans la réserve.

-Non, non, je vais l’acheter celui-là ! »

[m’entendant répondre à la même question]

-Mais madame, vous répondez encore ? ça fait dix fois qu’on vous pose la même question !

-La pédagogie est l’art de la répétition.

-Ahhhh ouaaiiisss. Et vous êtes trèèèèèèsssss pédagogue !

[Siam en devoir fait]

-Faut arrêter là Madame ! On n’est plus chez nous ! Qu’est-ce qu’ils font là eux, ils sont même pas dans notre classe !

-Ils sont allés demander à venir nous rejoindre en devoir fait, j’allais pas les laisser dehors.

-Quoi ? non mais madame c’est pas possible aussi ! On vous a trop facilement ‘ouin ouin je veux travailler’, vous ramassez tout le monde !

-Qu’est-ce que tu veux, je récupère tous les chiens perdus, moi. Je peux pas dire non à un élève qui veut travailler.

-Non mais ok les chiens perdus, mais c’est pas la SPA ici ! »

-mais qu’est-ce que… ? hé Madame ! Hé ! elle note ce qu’on dit ! Pourquoi vous faites ça ?

-pour pas perdre la trace, un jour j’écrirai un livre sur vous …