Rentrée des classes… en novembre

J’avoue ne pas trop savoir comment commencer ce texte.

Le blog est en jachère depuis 3 mois mais comme je n’ai pas tellement la main verte, je ne sais pas si la production en sera meilleure.

Bon… il se trouve qu’en septembre je n’ai pas fait ma rentrée.

En réalité, je l’avais faite fin août. Je devais d’ailleurs vous raconter cette semaine avec mes 3e (ceux qui sont en seconde maintenant) en train de déclamer du Cyrano au milieu de la cour du collège.

Et puis j’ai été arrêtée au milieu de la piste de décollage.

Un petit trésor caché au fond de mes entrailles nous a fait quelques frayeurs et après nos galères de l’année passée, le docteur a opté pour le principe de précaution.

Alors je me suis dit que j’allais mettre ce temps à partie pour bûcher l’agreg et trouver des innovations pédagogiques démentes.

Ça c’était le 1er septembre.

Puis à partir du 2, j’ai alterné entre envie de vomir tripes et boyaux et siestes du matin, de l’après-midi et parfois du soir. Je peux vous résumer chaque épisode de la star ac mais pas vous citer une ligne de Proust.

Cette année sera une année très spéciale… tellement spéciale que je ne fais ma rentrée que demain.

J’ai peur comme une néo-titulaire.

Et puis j’ai très envie de revoir les copains et de rencontrer mes élèves.

J’ai des papillons dans le ventre avec des gargouillis de trac.

Mais bientôt plein d’histoires à raconter.

A toi, à vous

Si on remonte le long des archives de ce journal en ligne, on peut voir que le premier article date d’octobre 2015.

J’étais alors toute jeune titulaire de l’Education Nationale. Je découvrais ce que c’était qu’enseigner 18 heures dans une semaine et à quel point ma condition physique n’était pas assez bonne pour ça, je découvrais les postes partagés sur deux établissements, la vie de TZR, et surtout je faisais mes premiers pas en Education Prioritaire.

J’étais terrifiée et en même temps j’avais le sentiment de vivre chaque jour une nouvelle aventure et surtout j’avais des choses à raconter.

J’entendais déjà « Ah oui, c’est déjà les vacances ! haha en fait vous ne pouvez pas bosser plus de deux mois de suite. »

Et je me disais que s’ils venaient voir ce que c’était qu’une journée au collège peut-être qu’ils comprendraient. J’ai eu envie d’ouvrir un trou de souris pour les curieux, pour montrer ce qui se passe du côté du tableau.

Et puis, j’avais envie d’écrire.

Et puis j’avais envie d’être lue.

Ce n’est pas si simple à admettre, pas si simple de s’autoriser à le dire. Les rencontres de la vie ont permis de rendre ce besoin légitime.

C’est très difficile d’être lue par les gens qui vous connaissent. Comme je changeais de collège chaque année ce n’était pas un problème de passer incognito avec ces petits textes. C’est plus compliqué avec le poste fixe. Je me souviens que je cachais les publications à mes collègues pour qu’ils ne tombent pas dessus. Par pudeur, par crainte de mal évoquer leur réalité, par peur tout court.

Et le premier « Je ne savais pas que tu avais un blog, j’adore ! » en salle des profs.

Je sens encore la chaleur dans mes joues et la vapeur dans mes oreilles.

Alors, autant se jeter dans le vide et ne plus se cacher.

A ceux qui sont là depuis le début, à ceux qui ont croisé mon chemin, à ceux qui arrivent ici par hasard, vous comptez beaucoup.

Et j’aime tellement quand vous prenez la peine de me laisser un mot.

Ça me manque de ne pas vous lire, de ne pas savoir comment vous allez, dites-moi que la vie est douce malgré tout.

On n’écrit jamais que pour être lu, est-ce que vous êtes toujours là? Ici ou ailleurs.

« Mais ils arrêtent pas de dire que je suis un garçon manqué. »

Rebelle par Annie Leibowitz

Projet presse au CDI. Les 4e sont tous là sauf Sarah. Ils s’installent autour des tables et écoutent les explications de la prof doc sagement.

Sarah passe la porte comme un boulet de canon, les joues en feu et les poings serrés. Elle ne va pas s’asseoir avec les autres mais sur les fauteuils du fond.

« Euh tu ne vois pas qu’on est autour des tables ? demande ma collègue.

-Laisse, je m’en occupe. Je te laisse le groupe. »

Sarah est arrivé en cours d’année. Elle vient d’un collège privé. En général, les élèves ne reviennent pas chez nous pour la beauté du cadre.

Elle a les cheveux toujours attaché en queue de cheval, elle est très sportive et cet état d’esprit rejaillit sur son travail. Ce n’est pas tant par esprit de compétition que par opiniâtreté qu’elle accepte de refaire les exercices. Elle a 16 de moyenne en français mais à chaque fois que je lui rends une copie, on dirait que je lui fais une fleur. « Je comprends pas, moi, normalement je suis nulle en français. » C’est le genre de fille que j’aurais suivi comme une ombre à son âge. Très charismatique, fort caractère. Donc, quand je la vois dans cet état je me dis qu’elle a appris une mauvaise nouvelle.

-Qu’est-ce qu’il se passe?

-Rien. Mon père vient me chercher, je m’en fous. Je veux pas en parler.

-Je vois bien que tu es en colère. Tu ne veux pas me dire contre qui?

-C’est eux là ! J’en peux plus ! Mattéo et Wadir.

-Qu’est-ce qu’ils t’ont fait?

-Ils n’arrêtent pas de dire que je suis un garçon manqué.

-Mais qu’est-ce que ça peut te faire qu’ils pensent ça ? ça ne veut rien dire cette expression en plus ! »

Je crois que c’est l’ado de 14 ans qui est toujours cachée quelque part qui lui a posé cette question. Dans ma tête ça donnait « Attends mais une fille comme toi, avec ton caractère, ta force de vie, droite dans ses baskets, comment elle peut se laisser abattre par deux petits mecs qui font une tête de moins? »

-Là on était sur le terrain. J’étais la seule fille démarquée et ils ont fait exprès de ne pas me faire la passe! Ils rigolaient en plus. ça me rend folle ! J’en ai marre, j’en peux plus, là. Je fais du rugby et alors ?! »

Et alors rien. Si ce n’est que c’est extrêmement violent de se sentir rejeté pour qui on est. La norme est tellement figée, tellement contraignante que le moindre écart vous éclate à la figure.

Et c’est très dur d’être une ado qui ne correspond pas à ce qu’on attend d’elle. Sarah fait du rugby entre autres sport, elle aime être en survet’ et en baskets, les mains dans les poches et son sac à dos gris vissé au dos. Elle est drôle, fine, vulnérable par certains aspects. Il lui faudra du temps pour prendre conscience d’à quel point c’est une richesse.

Aujourd’hui, j’ai 34 ans et peu sont les gens avec lesquels je me sens autorisée à être pleinement moi-même. Il faut que ces gens-là aient vu autrement qu’avec les yeux. Ce sont ceux dont on sait que la distance et le silence ne change rien ni à ce qu’ils sont ni à ce qu’ils ressentent, et qu’on retrouvera toujours avec le plaisir du premier jour.

« Ecoute-moi. Tu es en colère et tu es blessée. Plus tard, tu vas te calmer et tu vas repenser à ce que je vais te dire maintenant. Tu es belle, intelligente et forte. Et ça peut faire peur, ou du moins déranger. Tu te rappelles quand hier tu me disais que le subjonctif c’était trop bizarre. Qu’est-ce que je t’avais répondu ?

-Qu’il est pas bizarre, c’est juste qu’on n’a pas l’habitude de le fréquenter.

-Exactement. Parfois, ce qui est différent fait peur mais en réalité c’est parce qu’on est différent qu’on vaut la peine d’être connu. »

Et le rouge des joues est monté un plus haut. Alors elle retient son souffle et détourne le regard, il ne faudrait pas leur donner le plaisir de la voir pleurer.

-Tu veux rejoindre le groupe ou je te laisse là ?

-Je veux bien rester là.

Elle a pris un Okapi et quelques minutes après, son père est venue la chercher parce que pour aujourd’hui, le collège c’était trop dur.

Où certains poussent d’un coup

« Oui, bonjour Madame C., c’est le professeur principal d’Anil,

-Oui… ?»

On le reconnaît ce petit « oui » inquiet qui dit « allez qu’est ce qu’il a fait encore ? Achevez-moi ça ira plus vite. »

« Je voulais vous parler de son stage…

– ça s’est mal passé? Vous avez eu un retour de son patron ? »

Maman c’est un job à plein temps, je le sais, vous le savez, tout le monde le sait. C’est balancer entre l’inquiétude perpétuelle de mal faire, qu’il arrive quelque chose de mal ou que des instances jugent que vous faites mal.

La maman d’Anil, je l’aime bien. C’est la première fois que j’ai son fils en classe mais je la connais depuis quelques années. Elle est une des mamans du Conseil d’Administration. Les mamans du CA c’est quelque chose, il faudra que j’en parle à l’occasion.

Avec son voile et son franc parler, elle ne passe pas inaperçue. Elle était aussi au conseil de classe et elle applique très scrupuleusement la règle « c’est pas pour ton enfant que tu t’es engagée mais pour tous . »

Alors quand j’ai demandé après mon petit laïus sur l’attitude certes sympathique d’Anil mais complètement je m’en foutiste quant à sa scolarité, qu’on lui mette une mise en garde travail, elle a poliment dit que « c’était mérité. »

Lorsque je l’ai rencontré et qu’on a commencé à parler d’orientation, je lui ai dit:

« Vous savez l’école est faite pour un type d’élève. Et il y a plein d’enfants différents. C’est pas parce qu’il n’aime pas l’école maintenant qu’il ne l’aimera jamais. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas bon scolairement qu’il est bon à rien. Loin de là ! Quand il aura trouvé sa voie, tout va changer. Ce n’est pas votre faute, je sais que vous faites tout ce que vous pouvez.

-Vous avez raison, ça fait du bien de l’entendre. »

Alors cet après-midi avant d’aller nous promener, je l’ai appelée:

« …non au contraire. Ce stage en carrosserie a été une révélation pour lui. Il en parle à tous les cours de français ! Il m’a demandé s’il aurait le droit d’aller faire une semaine supplémentaire parce que son patron l’a beaucoup apprécié et qu’il lui propose un apprentissage.

-Oui, il était vraiment content de se lever tous les matins pour travailler.

-il a grandi en 15 jours, c’est fou ! Le voilà qui donne des conseils d’orientation à tout le monde. En plaisantant je lui ai demandé s’il en rêvait la nuit de son garage et il m’a répondu que oui. Je suis très heureuse pour lui. Il n’a plus qu’à faire en sorte que son dossier tienne la route mais je suis confiante.

-ça fait plaisir à entendre. Merci à vous. »

Le plus beau c’était de l’entendre expliquer aux autres qu’en apprentissage il aurait moins de vacances et que la vraie vie allait commencer.

Avec son mètre 90 déjà bien tassé, ce gaillard de 14 ans et demi, a déjà des airs de grand homme.

Où ça fait du bien de rire

En ce moment, les cours, c’est bizarre. On ne sait pas qui sera là demain ni si on sera là demain. Je guette les deux barres sur mes auto tests comme je les guettais sur mes tests de grossesse d’antan.

J’ai l’impression de vivre le Squid Game, la récompense en moins.

Déjà qu’en cette période je me sens en mal d’inspiration et que je cherche parfois le sens de mon métier mais alors les élèves… ils sont comme en suspens !

Ils ont l’impression de jouer à la loterie des jours vaqués. Va-t-on venir me chercher ? Vais-je rester à la maison pour une semaine ? Et c’est comme ça tous les jours. C’est usant. On perd tous le fil et la tête.

Aujourd’hui, deux heures avec les troisièmes de retour de stage. Il y a 8 absents. On commence la nouvelle séquence sur la satire.

Pour casser notre routine, je les emmène en salle informatique faire leur recherche sur ce bon vieux Voltaire. Il faut savoir les surprendre.

A la disposition du prof se trouve un outil magique: la Supervision. Vous pouvez surveiller et contrôler les ordis des élèves depuis le poste prof.

J’adore jouer à l’espionne alors autant vous dire que j’utilise toutes les fonctionnalités:

– surveiller les écrans: la base. Vidéo projecteur allumé et leur écran en plein écran. « Mais dis moi A. Je ne crois pas que Voltaire faisait de la moto, si ? »

-bloquer les ordis à distance: chaque fois que l’un d’eux est sur un site différent que ceux imposés pour la recherche, un cadenas apparaît sur son écran. J’aimerais tellement vous les prendre en photo quand ça leur arrive. K demande discrètement à son voisin ce qu’il a fait car l’ordi ne marche plus.

-le chat: vous pouvez leur envoyer un petit mot qui apparaît sous la forme d’une boîte de dialogue sur leur écran. « Travaille!!! » « Mais comment il sait l’ordi que je dois travailler ?!!! »

B. Qui n’est pas né de la dernière pluie vient me voir « Vous avez l’air d’un peu trop vous amuser Madame. vous faites quoi ?

-Rien, rien, mon travail.

Apparement, il ne m’a pas pris au mot parce que quand je suis allée jeter un œil sur son écran, j’ai trouvé ça:

C’est quand ils m’attrapent que je les aime le plus.