« Non mais Madame vous allez encore nous montrer un truc qui date de mille ans, là ?
–Le Dernier Métro date de 1980, vous n’étiez pas nés, certes, ça n’en fait pas un fossile du cinéma pour autant.
-Vous non plus vous n’étiez pas née, Madame…
-Vous me connaissez vous savez que je n’ai que très peu d’intérêt pour les vivants. »
C’est comme ça qu’ils se sont retrouvés à devoir analyser les techniques cinématographiques employées par François Truffaut dans son chef d’œuvre. C’était savoureux de les voir se prendre au jeu.
Première scène : Bernard Granger (Gérard Depardieu) drague lourdement une passante dans la rue et lui sort toutes les répliques du lover du dimanche.
« Wahhh le forceur ! Allez laisse-la tranquille !
-Non mais le gars, jamais il s’arrête.
[et quand il se fait recadrer]
« Pow pow pow ce qu’elle lui a mis ! »
L’arrivée au théâtre
-Regardez, regardez, regardez !
-Euh Madame, il marche dans une ruelle. Y’a rien à voir…
-Mais faites attention au mouvement de la caméra !
-Ah ouais ! elle recule alors qu’il avance !
-C’est ça le traveling arrière ? Classe…
Les plans fixes sur Catherine Deneuve
-C’est qui cette actrice, Madame ?
-Catherine Deneuve.
-Elle est morte ?
-Mais non enfin ! Elle est sublime, vous ne trouvez pas ?
-Ouais, franchement ça va. Elle est jolie.
-Regardez comment elle est filmée. Le maquillage est très poudré pour lui donner un aspect de porcelaine, elle ne bouge pas, elle a les traits d’une extrême finesse. A elle-seule c’est une œuvre d’art. On dirait qu’il n’y a pas que Lukas qui est tombé amoureux d’elle.
-Pourquoi vous dites ça ?
-Je ne sais pas, mais pour mettre en valeur un visage ainsi… il y a quelque chose de poétique, ce n’est pas juste esthétique. Bien sûr elle est renommée pour sa beauté mais là, il y a de la grâce qui s’en émane.
La fouille de la cave
Le souffle coupé, pas un bruit dans la salle. Si l’un d’eux avait fait tomber un stylo, je crois qu’ils auraient sursauté.
Une des scènes d’amour entre Marion et Lukas
Marion et Lukas sont allongés sur le lit, ils sont habillés. Lui, porte une chemise et un pantalon; elle, une blouse rentrée dans une jupe fourreau habilement fendue. Elle porte des bas dont la jarretière est légèrement dévoilée par le doigt qui remonte délicatement le long de la jambe. La caméra suit le mouvement, il n’y a que les jambes de Marion dans le champ.
« Ahhhhhh mes yeux ! mes yeux !
-C’est dégueulasse ! Ahhhhhh !
-Arrêtez ! vous êtes des gamins, ouech !
-Oulalala ils ont vu un bisou ils vont pas s’en remettre. »
Certains ne s’en sont vraiment pas remis. Il a fallu mettre le film en pause.
-Vous êtes sérieux les enfants, là ? Cette scène vous choque ? Ils sont habillés . Ils sont mariés en plus ! (si tant est que ce soit un argument…)
J’admets qu’en ces temps de laïcité baffouillante, j’ai un peu mal pris la réaction de certains d’entre eux. On aurait dit que je leur avais montré un film porno ! Et puis à la réflexion, c’est vrai qu’elle est d’une extrême sensualité cette scène et qu’il n’y avait pas besoin de nudité pour en suggérer l’érotisme. Chapeau l’artiste quand même. Quarante plus tard, mes ados sont plus secoués par cette scène que par tous les corps exhibés de toutes les séries d’aujourd’hui.
Bon pour les curieux qui, comme diraient mes élèves « veulent voir Gérard Depardieu pas gros », il est disponible sur Netflix.
Savez-vous que certains sont sortis de la salle en chantonnant Mon amant de Saint Jean ?
Et le mot de la fin pour Nabil « C’est bien franchement. C’est pas Fast et Furious mais ça passe bien, vous avez bon goût. »