– Madaaaame, vous l’avez encore votre carnet ?
-Quel carnet ?
-Celui où vous notez ce qu’on raconte.
-Qui vous a parlé de ce carnet ?
-S, qui était dans votre classe l’année dernière. Il dit qu’il est sûr que vous avez noté toutes ses blagues dedans.
[les questions que l’on peut entendre en expression-écrite]
-Madame, vous voyez une moustache, mais une moustache bien, hein?
-Euh…. oui
-Ben comment on le dit ?
-…
-Quoi ?! Pas d’eyeliner aujourd’hui ? Et vos lunettes et des baskets ?
-Et oui, je suis malade et fatiguée.
-Non mais ca va quand même!
-Je te remercie, je m’inquiétais…
-Madame c’est quoi un gay à peine ?
-Un quoi ?
-ça là.
-Un guet-apens.
-Ahhhh ok !
« Si je fais pas de bêtise, j’aurais un gros cadeau. Bon, ça fait depuis la 6e que j’attends mais là c’est la 3e, c’est bon ! Du coup j’ai changé de tactique, chaque fois qu’un prof veut me mettre une observ’ je crie pour qu’il la mette pas. »
-Ah ouais, super la dicée à trous ! Moi aussi je veux bien être dyslexique !
-Tu sais que c’est comme si tu disais « ah ben super la grosse place de parking ! Moi aussi je veux être handicapé. »
-Ah ouais…
Tenez les enfants, en souvenir de votre rédaction de la semaine dernière, je vous ai ramené Les Confessions de Rousseau.
-Euh Madame, c’est pas un livre ça, c’est un dictionnaire…
-Et vous lisez ça parce que..?
-Mais parce que c’est magnifique ! Il y a des pages belles à en pleurer.
-Ah ouais, elle doit être géniale vot’ vie…
Je vous laisse avec une page de la Nouvelle Héloïse, pour preuve que ma vie n’est pas triste et parce que personne n’écrira plus jamais comme cela.
« Jusque là je m’étais toujours rappelé Julie brillante comme autrefois des charmes de sa première jeunesse. J’avais toujours vu ces beaux yeux animés du feu qu’elle m’inspirait. Ses traits chéris n’offraient à mes regards que des garants de bonheur; son amour et le mien se mêlaient tellement avec sa figure que je ne pouvais les en séparer. Maintenant j’allais voir Julie mariée, mère, indifférente peut-être. A quel point pouvait-elle être changée ?
Quand j’aperçus la cime des monts le cœur me battit fortement en me disant : elle est là. Le monde n’est jamais divisé pour moi qu’en deux régions, celle où elle est et celle où elle n’est pas. La première s’éloigne quand je m’éloigne et se resserre à mesure que j’approche, comme un lieu où je ne dois jamais arriver.
Plus j’approchais de la Suisse, plus je me sentais ému. L’instant où, des hauteurs du Jura je découvris le lac de Genève fut un instant d’extase et de ravissement. La vue de mon pays, de ce pays si chéri où des torrents de plaisir avaient inondé mon cœur; l’air si doux et si pur de ma patrie.
A peine Julie m’eut-elle aperçut qu’elle me reconnut. A l’instant, me voir, s’écrier, courir, s’élancer dans mes bras ne fut pour elle qu’une même chose. A ce son de voix je me sens tressaillir; je me retourne, je la vois, je la sens. Son regard… et je ne puis plus parler. »